Poursuivons notre visite avec la nécropole Shah-i-Zinda,
plus récente que l'observatoire.
Shah-I-Zinda
La nécropole Shah-i-Zinda est construite à flanc de colline, aux portes de
la ville antique d'Afrosyab, à côté d'un cimetière très ancien. De loin, on
aperçoit les coupoles bleu turquoise fraîchement rebîties qui surplombent le
cimetière de la ville, constitué de simples tombes.
La nécropole date des timourides. Elle a été nommée
« Shah-i-Zinda » qui signifie le « Roi vivant », en l'honneur de Qassim,
fils d'Abbas (aussi appelé Koussam, Kussam ou Kutham), qui y fut enterré. Cousin
du prophète Mahomet, il débarqua dans la région en l'an 676 avec la première
vague de conquérants arabes, pour convertir les populations, mais il fut décapité
par les infidèles alors qu'il était en prière. La légende raconte qu'il se serait
alors emparé de sa tête et serait descendu dans un puits menant au paradis où
il présiderait une « cour des îmes » entouré de deux assesseurs. Cela nous rappelle
la légende de saint Denis, premier évêque de Paris, qui fut décapité sous l'empire
romain, et marcha en tenant sa tête entre les mains jusqu'à Montmartre... La
légende de Qassim ibn-Abbas reprend le mythe zoroastrien des juges des Enfers,
Mithra, Srôsh et Rashn, et celui du « Roi vivant » datant d'avant la conquête
islamique, qui raconte comment après sa mort, le roi Afrosyab continua de régner
dans le royaume des morts. Les conquérants arabes ont transposé de nombreuses
croyances zoroastriennes, manichéennes ou nestoriennes pour en faire bénéficier
les héros de la nouvelle religion, à moins que ce ne soit les nouveaux convertis
qui ont gardé le souvenir de leur ancienne religion.
Son tombeau devient un lieu de pèlerinage dès le
XIe siècle. On se rend auprès du saint homme, comme un catholique le ferait
auprès d'un saint ou d'une sainte, pour demander réussite ou guérison. Pour
faciliter le miracle, il est de bon ton de faire quelque cadeau à l'imam des
lieux . Des tombes et des mausolées sont construits à proximité du mausolée
du saint, la croyance islamique voulant que la proximité du tombeau d'un saint
assure la protection dans l'au-delà. Nos rois de France choisissaient bien les
monastères ou les grandes cathédrales dédiées à des saints influents (comme
le déjà cité saint Denis) pour dernière demeure ! Lorsque les Mongols s'emparent
de la ville, ils détruisent les mausolées sauf celui de Qassim ibn-Abbas. Leurs
familles nobles, les membres de la famille de Tamerlan et les chefs de l'armée
réactivent la nécropole à leur compte pour se faire enterrer, ce qui nous vaut
de superbes édifices couverts de briques vernissées, de majolique et de terracotta
sculptée et émaillée. Leurs couleurs à dominante bleu prennent des nuances différentes
selon les heures de la journée et l'orientation du soleil.
La visite débute au pied de la colline par le grand
portail d'entrée ou pishtak. Il est flanqué du premier « chortak »,
petit passage surmonté d'une coupole que soutiennent quatre arches (« chortak
» signifie « quatre arches »), où l'on peut lire l'inscription suivante
: « Cet ensemble majestueux a été construit par Abd-al-Aziz Khan, fils d'Oulough
Begh, fils de Shah Rukh, fils de l'Emir Timur Lenk, l'an 838 de l'Hégire » (1434).
En fait, c'est Oulough Begh qui en fut le constructeur au nom de son fils encore
en bas îge. Immédiatement à droite, une cour étroite accueille des pèlerins.
Une dame tient en laisse une chèvre au poil luisant et noir, sans doute destinée
à un sacrifice, alors qu'un homme accroupi enduit de chaux un tronc d'arbre,
pour l'esthétique et pour éloigner les insectes nuisibles, respectant en cela
la coutume du travail collectif.
La chèvre évoque à notre guide une petite histoire
de Nasreddin :
Nasreddin se rasa la barbe. L'iman lui fit remarque
qu'un bon musulman ne se rase pas et qu'on repère le bon musulman à sa barbe.
Se tournant vers une chèvre, à longue barbiche, Nasreddin lui dit : «
voici une fervente musulmane, en cette chèvre ».
Face à nous s'élancent maintenant les quarante
marches de « l'escalier du paradis » ou « escalier des pêcheurs ». L'escalier
fut construit au XVIIIe siècle. La coutume impose aux pêcheurs de les gravir
à genoux, en récitant un verset du Coran à chaque marche, en pénitence. Ceux
qui les montent à pied doivent compter les marches à l'aller comme au retour
et gare à celui qui ne trouverait pas le même nombre.
Avant de monter, nous nous regroupons sous l'iwan de la mosquée à gauche de
l'entrée. Ses colonnades sont finement sculptées et le plafond est en marqueterie
rénovée. C'est à cet emplacement qu'aurait été décapité Qassim ibn-Abbas. L'escalier
mène au mausolée de Kazy-Zade Roumi, à gauche, construit entre 1420 et 1435.
Précepteur d'Oulough Begh et grand astronome, Kazy-Zade Roumi ne serait en fait
pas enterré ici : des fouilles ont révélé le squelette d'une femme, peut-être
la nourrice de Tamerlan. Il s'agit du plus grand édifice de l'ensemble. La salle
de prière, ziarat khana, et la salle du tombeau, gur khana,
sont surmontées de coupoles qui s'élancent, comme des champignons, sur de haut
tambours cylindriques.
En haut des marches, nous passons sous un second arc à quatre arches, un « chortak »,
en cours de chaulage. Il date du XIXe siècle et fut érigé à l'emplacement de
l'ancienne muraille d'Afrosyab. Nous débouchons sur l'allée étroite bordée de
mausolées. Je ne connais rien au monde qui soit comparable, en raison des couleurs
chatoyantes inhabituelles dans un cimetière. Imaginez le cimetière du Père-Lachaise,
à Paris, où les tombes ne seraient pas de pierre fade, verdie par la mousse,
mais couvertes de céramique et de mosaïque. Les mausolées de Shah-i-Zinda sont
somptueux, chacun posé sur une sorte d'estrade à 1 m de hauteur. Des marches
très raides comme toutes les marches des monuments anciens (40 cm de hauteur,
pour 15 de profondeur) mènent aux salles intérieures, elles aussi décorées de
céramique ou de stuc blanc. Le bleu foncé à base d'oxyde de cobalt contraste
avec le jaune doré. Les motifs sont floraux ou géométriques et enlacent des
textes coufiques. On peut lire par exemple : « ce monde est la joie
des pêcheurs, le monde de l'au-delà est le chagrin des vivants. »
Le premier mausolée à droite du chortak est celui de l'émir Hussein, connu
aussi sous le nom de Tuglu Tekin, fils d'un Turc nommé Kara Kutkul et célèbre
commandant turc que Tamerlan prit pour modèle tout en se réclamant de sa descendance.
Tamerlan fit construire le mausolée en 1376, alors que Tuglu Tekin était mort
en martyr au VIIIe siècle.
Mausolée Shadi-Mulk-Aga
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Lui faisant face, le mausolée d'Emir Zade (fils de l'émir) date de 1386 et
abriterait la dépouille d'un fils de Tamerlan. Juste après, sur le côté gauche,
le mausolée de Shadi Mulk Aka (1372) fut construit sur l'ordre de Tourkan Ata,
sour de Tamerlan, afin d'y enterrer sa fille empoisonnée par une épouse de Tamerlan.
L'empereur, pour qui sa nièce comptait beaucoup, fit graver l'inscription suivante
: « C'est une tombe où une précieuse perle a été perdue. » Tourkan Ata
y fut également enterrée, aux côtés de sa fille. La coupole est découpée par
une étoile octogonale, symbole du soleil entouré de huit planètes. Les céramiques
sont d'origine, et très bien conservées pour un mausolée vieux de plus de six
siècles.
Du
même côté, le mausolée octaédrique de Shirin Bika Aka (ou Shirin Biqa Aqa ou
Shirin Beg Agha) demeure un mystère. Datant de 1385 environ (époque timuride),
il est considéré comme un mausolée mais aucun débris humain n'y a été retrouvé.
Les mausolées ont tous été rénovés. J'ai vu un ouvrage de photos en noir et
blanc, du début du XXe siècle, qui montre des façades dégarnies de parement,
des briques nues et des coupoles effondrées.
Au bout de l'allée, on passe sous une dernière arcade, le troisième « chortak ».
À gauche, s'ouvrent le mausolée de Tuman Aka, la plus jeune des épouses de Tamerlan
datant de 1404, et la mosquée attenante de 1405. La coupole bleue turquoise
repose sur un haut tambour cylindrique. L'originalité de la décoration vient
de l'utilisation de la couleur violette, extrêmement rare à l'époque. L'intérieur
a été laissé volontairement blanc, ce qui est aussi inhabituel, et les décorations
se limitent à quelques fresques de paysages sous la coupole. Au-dessus de la
porte en bois finement sculptée, on peut lire: « Le tombeau est une porte que
tout le monde franchit. »
Dans l'ombre du passage couvert, se distingue à droite une porte ouvragée,
jadis rehaussée d'or, d'argent et d'ivoire, oeuvre du maître Youssouf de Shiraz
et surnommée « porte du Paradis » et tout le monde peut la franchir. Elle mène,
par un long couloir, à des antichambres décorées de stuc, puis à la mosquée
Qassim ibn-Abbas, toute blanche, enfin à la salle de prière, ziarat khana.
C'est ici qu'arrivent les pèlerins, en habits de fête. Ils se penchent sur le
grillage en bois, pour admirer la salle du tombeau, gur khana,
et la pierre tombale de Qassim ibn-Abbas, entièrement décorée de majolique à
la demande de Tamerlan.
Les pèlerins se recueillent en famille et prient peu de temps, dans l'alcôve
proche du tombeau. Je suis gêné par les commentaires de notre guide qui ne prête
guère attention à cette ferveur religieuse. Je ne connais pas de pays de religion
musulmane qui nous laisserait autant de liberté dans un lieu de culte.
À part le minaret, d'époque, tout l'édifice a été reconstruit au XVe siècle
pour remplacer l'ancien ravagé par les Mongols.
En sortant du tombeau du saint, tout de suite à
droite, se trouve le mausolée de Kutlug Aka, datant de 1360. Il abrite une des
femmes de Tamerlan.
Enfin, à l'extrémité nord de la nécropole, le mausolée
Khodja Akhmad date de 1350. Son portail a été décoré de majolique bleue et blanche
par l'artisan de Samarcande, Fakhr Ali.
Nous avons terminé la visite et il reste à refaire
le chemin en sens inverse. Le nombre de touristes a diminué et le retour est
bien plus agréable.
Mausolée Khodja-Akhmad
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Mausolée Khodja-Akhmad
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