Suite du journal de voyage en Ouzbékistan : Boukhara (page 3/7)
Nous quittons ce matin l'hôtel en car, pour parcourir une courte distance,
mais il est vrai que le car permet de maintenir la cohésion du groupe
dans une ville où les tentations, commerces, bazars, etc. sont nombreuses.
Le chemin direct à pied passerait par des ruelles poussiéreuses.
Le car, lui, fait un grand détour et emprunte les boulevards.
Urbanisme :
Le coeur de la ville est encerclé par un grand boulevard construit pas
les Soviétiques à l'emplacement des remparts et qui forme comme
une frontière entre la ville moderne, administrative, et la ville orientale,
historique.
Les villes comprennent traditionnellement trois quartiers : le chahristan ou
ville des artisans, des aristocrates, des étudiants et des religieux,
l'Ark ou citadelle, où réside le souverain, le rabad, faubourg
adjacent à la ville, pour les commerçants et les échanges
avec l'extérieur de la ville. Le bazar se tenait dans les portes d'entrée
de la vieille ville. Chaque bazar avait sa spécialité : changeurs,
bouchers, chapeliers, soieries,... De l'ancien bazar couvert ne demeurent que
les croisements de rues surmontés de coupoles (les Toks ou Taqs ou Taks).
Les passages transversaux ont été détruits, laissant le
promeneur sous la chaleur et le soleil. Après des années de destructions
et reconstructions hasardeuses, la Vieille Ville a été classée
et il est désormais conseillé de réhabiliter les vieilles
demeures plutôt que de les raser.
Nous allons visiter successivement le coeur religieux de la ville avec sa grande
mosquée, Masjid Kalon (ou Kalyan ou Kalian), et la superbe madrasa Mir-i-Arab
qui lui fait face, puis la citadelle (Ark) et la mosquée Bolo Khauz,
en face, puis les tombeaux au milieu du parc de Samani, enfin le bazar qui est
juste à côté.
Le car nous laisse sur la grande place du minaret Kalon :
Poy
Kalyan ou Poy Kalon (ou Poï Kalân) signifie " piédestal
de la très haute ", pour désigner la grande place qui est
au pied du minaret Kalon.
Il s'agit en fait d'un " complexe " qui regroupe la mosquée
Kalon, la madrasa Mir-i-Arab, la madrasa plus récente construite derrière
le minaret, et, autrefois, diverses institutions à caractère charitable
(soupes populaires, hospices) ou médical (maristan, asile, école
de médecine). Un tel complexe était administré en waqf,
c'est-à-dire que les revenus des boutiques et des logements loués
lui étaient reversés pour son fonctionnement.
Aujourd'hui, les commerces existent toujours
. Une nuée de jeunes
filles nous prend en chasse à peine que nous ayons mis le pied à
terre, à la sortie du car. " Comment tu t'appelles. Viens voir ma
boutique
. " en français,
car elles ont compris qu'on
est un groupe français et elles parlent quelques mots, voire plus, dans
plusieurs langues. Elles ne nous lâcheront pas d'une semelle, exhibant
des livres, des cartes postales, des foulards en soie. Nous les reverrons à
plusieurs reprises aux alentours du quartier et
nous finirons par leur
acheter quelque chose, pas ce matin mais un autre soir, des housses de coussins
brodées, de la céramique, etc.
D'un côté, juchée sur un terre-plein, se dresse la madrasa
Mir-i-Arab, face à la mosquée Kalon. Les constructions se font
souvent face et s'embellissent mutuellement. C'est le cas avec la madrasa Nadir
Divan-Begui (1622-1623), face à khanaka du même nom, la madrasa
d'Oulougbeg (1417-1418) et la madrasa d'Abdullaziz-khan (1588-1590), la madrasa
d'Abdullah Khan (1589-90) construite par Abdullah Khan (1556-1598) en face de
la madrasa Madar-i Khan (1566-67) et nous l'avons vu à Khiva, avec les
Kosh madrasa (jumelles).
Le minaret est au fond de la place, relié à la mosquée
par une petite passerelle. Derrière, une coupole désigne une autre
madrasa aujourd'hui transformée en bibliothèque. Entre cette madrasa
et la place, coule le canal, l'aryk, qui longe toute la ville. Je ferai un soir
le tour complet de ce centre historique : des terrains vagues, dégagés
après des destruction, sont encombrés de gravas et de détritus.
Dès que l'on s'éloigne du circuit touristique, on tombe immanquablement
sur des zones peu salubres, en devenir
ruelles caillouteuses, ruines,
maisons en mauvais état et pas une âme qui vive, sauf une fois
une petite jeune fille habillée comme pour la communion (ou une autre
fête d'ici) qui sembla sortir d'un conte de fées. Je voulus la
photographier quand sortit de je ne sais où un vilain monsieur qui chassa
la mignonne demoiselle.
Pour l'heure, nous profitons de ce décor théâtral, madrasa,
minaret, mosquée en parfait état.
Tous les monuments ont été parfaitement rénovés
depuis les années 30 et plus récemment après un tremblement
de terre dans les années soixante-dix. L'abandon et les bombardements
du général Frounzé en 1920 avaient dégradé
ces édifices. Des photographies des années vingt, rééditées,
montrent des monuments délabrés, et néanmoins actifs les
jours de prière.
Minaret
Kalon :
Il a été construit en 1127 par le Karakhanide Arslan Khan.
C'est une tout massive, en brique, de forme légèrement conique,
haute de 48 m. Ses fondations s'enfoncent à 13 mètres dans le
sol. Il porte bien son nom, Kalon signifiant " grand ". Il est décoré
d'une succession d'anneaux en briques cuites aux motifs géométriques
tous différents. Le sommet est décoré de stalactites et
de fenêtres, comme un tour de guet. Sa fonction première était
l'appel à la prière : cinq fois par jour, quatre muezzins grimpaient
les 105 marches de son escalier intérieur pour l'appel à la prière.
Leurs voix portaient à plus de 8 km et d'autres minarets relayaient l'appel
dans un rayon de 16 km.
Le minaret servait aussi de point d'observation le jour, et de phare la nuit.
Les clochers de nos églises servaient aussi de repère, de jour,
et parfois de tour de guet. Mais ici, tous les soirs, on enflammait une bassine
remplie d'huile placée au sommet. Les caravanes arrivant du désert
pouvaient ainsi se repérer, tels les vaisseaux à l'approche des
ports. Gengis Khan, qui avait apprécié son importance stratégique,
épargna le minaret alors qu'il fit détruire les autres édifices.
Le minaret était aussi appelé " Tour de la mort ", parce
qu'on précipitait les condamnés à mort de son sommet.
La vue le soir de son sommet est sans doute superbe (après une ascension
éprouvante), et le gardien en profite pour demander un tarif excessif.
La
madrasa Mir-i-Arab (1530-1536) a été fondée par
le cheikh Mir-i-Arab, pendant le règne d'Ubaydallah Khan. Elle aurait
été construire avec l'argent que le Khan avait obtenu de la vente
de 300 esclaves. Elle est encore en activité et est une des rares à
avoir fonctionné sous le régime soviétique. Pour cette
raison, le touriste est cantonné dans le sombre vestibule. Il lui est
seulement permis de jeter un il sur la cour à travers le moucharabieh.
Le plafond du vestibule est décoré d'une coupole aux motifs géométrique.
Notre guide nous montre le nom d'Allah, en écriture koufique :
Le Kûfique ou Koufique, Coufique (anciennement appelé "Hiri")
est un style de calligraphie, apparu vers le XIe siècle, et utilisé
pour les manuscrits et pour la décoration. Il se caractérise
par des lettres angulaires et rigides, dont le dessin suit toujours la
ligne de base. Son origine est faussement attribuée à la
ville de Kûfa.
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Je profite pour gravir les marches raides jusqu'à la galerie qui surplombe
la cour. Les quatre iwans servent de salle de cour. Les cellules sont disposées,
comme toujours, tout autour de la cour. Un balcon surplombe l'entrée
extérieure, face à la grande mosquée. Mais je n'ai pas
le temps de trouver l'escalier pour y monter que l'on repart pour la visite
de la mosquée.
La
mosquée Kalon :
Elle aussi porte bien son nom, Kalon, " La grande ", car elle est
la plus grande d'Ouzbékistan après celle de Bibi Khanoum à
Samarcande. Contrairement, à l'entrée en hauteur de la madrasa,
l'entrée de la mosquée est en contrebas, du fait de la topographie.
On pénètre par un hall voûté qui se prolonge sur
les ailes en galeries couvertes de 288 coupoles. La cour intérieure est
très profonde. La vue se concentre sur la masse verte d'un mûrier,
arbre qui est souvent associé, avec le jujubier, aux complexes religieux.
Quatre pavillons, répartis au milieu de chaque aile, ponctuent la perspective.
Le pavillon du fond est coiffé par un dôme en tuile vernissée
bleu turquoise. C'est là que se trouve la mirhab. L'imam devait clamer
la prière et les prêches du fond de la cour que l'écho amplifiait
ou déformait.
L'immense cour intérieure et les galeries couvertes pouvaient accueillir
plus de 10 000 fidèles.
Notre guide nous fait assoire pour nous conter l'historie du monument : La mosquée
occupe la place d'un ancien temple zoroastrien. Comme toujours, le conquérant
rase les temples impurs et reconstruit sur place, parfois il récupère
des matériaux, et intègre des traditions cultuelles, pour mieux
s'imposer vis-à-vis des conquis. Le plus bel exemple de récupération
religieuse n'est-il pas la cathédrale de Cordoue, bâtie dans l'ancienne
mosquée, ou encore la mosquée Sainte-Sophie d'Istanbul qui a simplement
décoré la basilique et masqué les fresques catholiques.
Combien de temples gréco-romains sont devenus des églises
On dit que le devoir de cinq prières quotidiennes date des Zoroastriens
et a été repris par l'islam, tout comme la grande fête du
printemps, Navrouz, d'origine zoroastrienne. Soit les nouveaux imams se sont
inspirés des traditions en place, soit les imams qui étaient des
prêtres zoroastriens convertis à l'islam, ont fait de la résistance
et adapté leurs fêtes et traditions aux nouveaux commandements.
Les artisans zoroastriens ont aussi introduits dans l'architecture des signes
de reconnaissance de leur foi bafouée. On verra au mausolée samanide
du Xe siècle ce qu'ils ont fait.
Plusieurs mosquées ont été construites au même emplacement,
la première en brique crue en 713, une plus grande au IXe siècle,
avec des piliers en bois, une autre au XIIe construite par Arslan Khan et détruite
par Gengis Khan qui fait décapiter 400 personnes dans la cour de la mosquée.
En 1514, le khan chaybanide Abdullah Khan fait édifier la mosquée
actuelle, de 130 m sur 80. En 1545, son successeur fait décorer le mihrab
de mosaïques. A l'époque soviétique, de 1924 à 1989,
la mosquée est restée fermée, et a été transformée
en entrepôt et en meunerie pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dans l'aile droite, un profond puits passe pour contenir de l'eau sainte ; elle
est versée dans une immense coupe en pierre qui la conserve toujours
fraîche. Les fidèles la boivent en faisant un voeu. Lorsqu'il n'y
a pas d'eau, on peut se laver des impuretés avec du sable, ou encore
de la cendre.
Au centre de la cour, une rotonde aux huit portes - symbolisant les portes du
paradis - a été construite par le dernier khan de Boukhara en
souvenir des martyrs qui périrent sur ce lieu lors de la destruction
de la mosquée par Gengis Khan. On dit aussi qu'elle honore la secte des
Assassins.
Les
murs sont décorés de brique vernissée.
La brique vernissée :
On distingue trois types de fabrication : émail coloré,
décor sous glaçure et décor sur glaçure.
Dans le 1er cas, le motif est appliqué directement sur la brique
avant cuisson et à la cuisson, il devient émail. La technique
sous glaçure consiste à peindre la brique puis à
appliquer une glaçure qui va solidifier le décor. La technique
de décor sur glaçure consiste à appliquer l'émail
sur une glaçure et à passer la brique à la cuisson.
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