Journal de voyage en Ouzbékistan :
Khiva (page 3/5)
Poursuivons la visite avec la résidence du khan : la " vieille
citadelle ", Kunia Ark. La résidence du khan comprenait
deux parties : la citadelle adossée aux remparts ouest et le harem,
au cur de la ville, que nous verrons dans l'après midi. La
citadelle abritait les bureaux de l'administration, l'hôtel des
monnaies, des étables, un arsenal, une caserne et servait aux manifestations
officielles. La vie intime se passait dans l'autre palais.
Le site du palais fortifié fut occupé dés le Ve
siècle. Pendant plus d'un millénaire, plusieurs palais ont
été détruits et reconstruits au même endroit.
La plus ancienne construction encore debout est la tour qu'Ak Sheik Bobo,
le Cheik blanc, fit construire au XIIe siècle. Le palais
actuel a été construit en 1804 par Iltazar Inaq Khan, le
fondateur de la dynastie des Kungrad (Kungrad est une ville située
à 200 km de Khiva).
Nous passons la porte gardée et découvrons une large cour,
avec en son centre un puits où une dame vient remplir son bac.
La
fondation de Khiva est née d'une légende : le fils de Noé,
Sem, s'arrêta son chemin, fit un somme et rêva d'un puits
et de 300 torches allumées. Immédiatement, il fit creuser
sur place et l'eau jaillit. Khiva est née autour de ce puits appelé
Keivah. Il faut dire qu'en plein désert, il n'y a de vie et de
village que s'il y a de l'eau. Une autre légende prétend
que Khiva vient de l'exclamation " Eva ! ", qui signifie "
Que c'est beau !", exclamation que prononçaient les visiteurs
de cette ville devant toutes ses merveilleuses constructions.
Pour se rendre compte des merveilles de la ville il faut voir la cour
de réception des ambassadeurs. Sur un côté, une salle
ouverte est surélevée. Un pilier central de bois soutient
le plafond de marqueterie. Les murs sont couverts de majoliques bleues
et blanches représentant des branchages enlacés. Il s'agit
d'un " iwan " (prononcer aïvan), typique de l'architecture
trurco-moghole (on en trouve aussi en Inde, dans les palais). Le gouverneur
ou le khan y siégeait pour les auditions des ambassadeurs ou toute
réunion officielle. Au centre de la cour, une estrade ronde accueillait,
devinez quoi
une yourte pour les invités. L'hiver, les nuits
sont froides (mais il ne gèle pas) et la yourte garde la chaleur.
L'été est chaud et la yourte ventilée restait agréable.
La
majolique est un assemblage de plaques de céramique, de 3 cm d'épaisseur.
Chaque pièce est peinte, numérotée et cuite, pour
être fixée avec un clou en son centre. Elles ont tenu jusqu'à
nos jours. Elles sont l'uvre d'un artisan doué, dont on connaît
le nom : Abdullah Djinn. Il utilisait trois couleurs : le blanc, le bleu
et le vert. L'ocre est arrivée plus tard. Les motifs sont floraux
(des pétales, des feuilles, des tiges qui s'enroulent en spirale),
appelés islimi (qui a été traduit en Europe en "
arabesque "), ou géométriques (étoiles, svastikas,
dessins en "S", losanges à crochets) et dans ce cas le
motif s'appelle Ghirih (d'un mot arabe qui signifie " nud ").
Ces motifs sont d'origine perse et on les retrouve dans toute la décoration
y compris sur les tapis et les tissus. L'artisanat était subventionné
par le gouverneur, et les artisans bénéficiaient d'ateliers
ou kitabkhana où ils pouvaient former leurs élèves
et chercher des innovations techniques ou artistiques. Les artisans voyageaient
et pouvaient être appelés à travailler pour d'autres
mécènes. L'art musulman de ce fait est assez homogène
dans toute l'Asie centrale. Il répondait à des canons et
des obligations incontournables.
Delà on peut aller au belvédère, accessible comme
toujours avec des escaliers très raides. Il est établi sur
le rempart. Je me rends compte que la lumière n'est pas des meilleures
à cette heure ci. Mieux vaut y retourner le soir.
On
revient sur nos pas pour découvrir, cachée au bout d'un
étroit couloir, une autre merveille : un iwan plus beau et plus
grand qui sert de mosquée. On se rend compte de cet usage grâce
à la niche, le mihrab, qui donne la direction pour la prière,
et les quelques marches du minbar pour les prêches de l'imam
(l'équivalent, en plus petit, de nos chaires d'église).
Il y a trois types de mosquée : la mosquée de tous les jours,
de petite taille, équivalente aux chapelles catholiques, en terme
de répartition urbaine ; la mosquée du vendredi, déjà
plus importante, et unique dans une ville. C'est la Jama Masjid et nous
la verrons cette après midi. Enfin la mosquée réservée
aux grands rassemblements, aux pèlerinages, qui ont lieu une fois
par an. Compte tenu de la foule, à accueillir, ces mosquées
sont à l'extérieur de la ville et pas dans toutes les villes.
Une autre occasion de pèlerinage sont les mausolées de saints
hommes, et à Khiva il y en deux (le mausolée Said Alauddin
et le mausolée de Pakhlavan Makhmoud).
Au fond de la cour de la mosquée, une pièce transformée
en Musée évoque le Monnaie : on frappait une monnaie locale,
en argent ou en étain suivant la valeur de la pièce. Plus
tard sont apparus des billets en soie.
Madrasa Muhammad Rakhim Khan
Face à l'entrée du palais, de l'autre côté
de la place centrale, se trouve la madrasa construite en 1871 par le khan
Muhammad Rakhim qui régna sur Khiva de 1864 à 1910 (on trouve
diverses orthographes de son nom (Mohammad, Muhamad, et Raxim ou Rakim).
Il aimait la poésie et composa sous le pseudonyme de Ferouz (ou
Firuz). On passe sous un porche pour découvrir l'immense portail
décoré de majolique, un étage de cellules et des
guldastas aux angles (petite tour d'angle coiffée d'un dôme
de tuile vernissée bleu turquoise). Le portail donne sur une première
cour entourée également d'un étage de cellules, toutes
vides. La construction suit le plan carré traditionnel mais se
caractérise par un passage voûté à 8 coupoles,
le plus grand de Khiva, et par une seconde cour. Dans cette seconde cour,
un câble est tendu pour des spectacles d'équilibristes.
Les salles de la madrasa abritent un musée consacré à
l'histoire et l'art traditionnel.
Le musée contient des bijoux de nomades, chargés de pièces,
de pierres rouges, qui ressemblent aux bijoux du monde arabe ou berbère.
On voit aussi des photos prises au début du XXe siècle
des derniers khans et du grand vizir, Islam Khodja. Islam Khodja était
le beau-père et le grand vizir d'Isfandiyar II. Il voulut moderniser
son pays. Il avait beaucoup voyagé et séjourné à
Paris et à Saint-Pétersbourg, et collecté des informations
sur les nouvelles techniques. Islam Khodja fit construire une filature
de coton, un hôpital, un réseau de poste et de télégraphe,
une école moderne (on verra sa madrasa). Il voulait prolonger
la voie ferrée qui va de Tachkent à Boukhara jusqu'à
sa ville. Il fut assassiné sur ordre du khan, Isfandiyar, alors
qu'il regagnait de nuit sa résidence d'été. Isfandiyar
II régna de 1910 à 1918. En 1917, les bolchevicks renversent
le tsar en Russie. L'Asie centrale suit le mouvement. Le khan perd son
trône en 1918 et est remplacé par son frère Saïd
Abdullah : c'est une marionnette. Il exécute les ordres de Moscou.
En 1920, il est renversé à son tour. Le khanat de Khiva
disparaît. Le pays est coupé en deux, entre les deux républiques
socialistes qui deviendront l'Ouzbékistan et le Turkménistan.
Quittons
la madrasa, pour rejoindre les mausolées. Nous cherchons
l'ombrage de quelques arbres pour fuir la grande chaleur. Le mausolée
Said Alauddin est au fond d'une rue. Il s'agit du plus ancien monument
de Khiva. Un mausolée à coupole et portail fut édifié
au début du XIVe siècle autour du tombeau du
cheik soufi Said Alauddin mort en 1303 (j'ai vu diverses orthographes
phonétiques de son nom : Sayeed, Sayd, Sayyd, Saïd,
).
Une ziatkhona, petite pièce par laquelle on accède au tombeau,
lui fut adjointe sous Allah Kouli Khan, au XIXe siècle
(le khan qui fera le caravansérail dont on parlera plus loin).
La tombe couverte est majolique aux motifs végétaux bleus
et blancs, oeuvre d'Amir Kulal, un céramiste de Boukhara. Il aurait
dû être enterré aux côtés du cheik mais
il mourut à Boukhara et la tradition interdisait que l'on fasse
pénétrer un cercueil dans Khiva. Il resta donc à
Boukhara. Malgré la présence de deux tombes, un seul corps
repose dans le tombeau.
Sur
le chemin, nous trouvons des ateliers d'artisans : ici, on travaille le
bois, pour faire ses jolis lutrins. Les habiles menuisiers font des lutrins
magiques, pouvant se poser en 3,6, 9, voire 12 positions différentes.
C'est un jeu astucieux d'emboîtements que le maître réalise
d'un coup de main magistral. Je ne vois pas d'utilité à
ce genre d'objet, malheureusement. Plus loin, on teint le coton, par brassées
de fils et dans les salles entourant la cour, des jeunes femmes assises
sur des petits bancs, par 2 ou par 3 côte à côte, fabriquent
des tapis. Elles nouent, à longueur de journée des milliers
de fils suivant un dessin invisible qui prend forme sous nos yeux.
|