Suite du journal de voyage en Ouzbékistan : Boukhara (page 2/7)
Boukhara est la cinquième ville du pays, avec 240.000 habitants. Son
altitude est de 250 m. Il fait chaud et il n'y a pas de vent.
Boukhara est située à environ 230km à l'ouest de Samarkand,
dans le sud-est du désert de Kyzyl Koum, au centre d'une oasis densément
peuplée sur le canal de Chahroud.
Nous
nous installons à l'hôtel, qui est la périphérie
de la ville. C'est un quartier de bâtiments énormes et distants
les uns des autres, comme la mairie, haute de 15 étages (je ne les ai
pas comté mais c'est l'impression) séparés par des jardins
sans âme, ni vie et reliés par des avenues à 8 voies, interdites
à la circulation, sauf si on se rend à l'hôtel. Une impression
de déjà vu
à Yamoussoukro, la capitale fantôme
de Côte d'Ivoire, ou à Bucarest, du côté du palais
pl.
Nous apprendrons que les Soviétiques ont réorganisé la
ville : rasant les quartiers vétustes de la vieille ville, arasant les
remparts qui l'entourent, et dessinant des avenues gigantesques qui encerclent
la ville. L'université est proche de notre hôtel. D'autres quartiers
sont résidentiels, à base d'immeubles préfabriqués
des années 60.
Après le déjeuner, nous effectuons nos premières visites,
en dehors de la ville.
A 4 km au nord-ouest de la ville et sur la route de Samarcande, le palais
Sitora-I-Mokhi-Khossa fut la résidence d'été des derniers
émirs de Boukhara au début du XXe siècle. Son nom est celui
de la grand-mère du dernier émir et signifie " étoile
et lune d'été ". A proximité se trouve une source
d'eau. On recevait les invités dans ce Palais, avant l'accueil officiel
à la Citadelle de Boukhara.
Le palais est adossé à l'actuelle résidence de villégiature
du président. Ceci explique peut-être pourquoi le car ne peut pas
emprunter la direction à gauche et doit partir à l'opposé
pour faire un demi tour plus loin. L'accès à cette zone sensible
est ainsi mieux protégé.
L'émir Emir Mohammed Alim Khan (1880-1945) régna de 1911 jusqu'à
l'arrivée des Bolcheviks en 1920 (il s'exila en Afghanistan et échappa
à un bombardement sur la route de l'exil). Il était un descendant
de Gengis Khan. Il fit ses études à Saint-Pétersbourg,
en Russie, où il acquit des méthodes modernes de gouvernement
et de développement social.
Son titre "émir" signifie qu'il était le "commandant"
ou "général" des Armées (ce nom vient d'un mot
arabe "Amr", pour " commandant "). Tamerlan était
" émir ". Dans l'armée de Gengis Khan, le chef d'armée
est le " pagatur " tandis que le " khan " est le roi.
Enfin, un calife est chef spirituel chez les chiites.
Pour la construction de son palais (1912-1914), il envoya les meilleures architectes
de Boukhara à Saint-Pétersbourg et à Yalta pour étudier
la technique de leurs confrères russes.
On passe sous deux portes, réminiscences des forteresses ouzbeks, pour
entrer dans la cour intérieure, que forment les trois ailes du palais.
La salle de réception s'inspire des grandes salles des palais de Saint-Pétersbourg.
Le lustre de cristal teinte à chaque fois que l'on bouge, car les vibrations
sont transmises par le plancher. Sous les ordres d'Ousto Mouradov, une équipe
de 25 artistes travailla pendant deux ans.
Les autres salles ont une couleur dominante, comme dans les palais fantaisistes
européens. Leur décoration mêle l'architecture européenne
(salles en enfilade, miroirs, verres colorés aux fenêtres, poêles
hollandais et lustres de cristal) et celle des riches demeures ouzbeks (murs
divisés en panneaux et niches, panneaux de stucs sculptés appelés
gantch). À l'entrée, des panneaux de vases de fleurs sont
d'inspiration indienne.
Les portes sont basses. Notre guide locale imagine plusieurs explications :
soit parce que le bois est rare, ou pour éviter les courants d'air, ou
pour obliger les visiteurs à se courber en entrant. Des vitrines montrent
des vêtements anciens, notamment la parandja, ce voile lourd, de
couleur noire, qui cachait entièrement le visage des femmes. Il avait
la particularité d'être fait avec du crin de cheval, qui réfléchit
la lumière du soleil et isole totalement la personne qui le porte. Rien
de tel pour éviter les coups de soleil ! Les vêtements étaient
habituellement confectionnés par des femmes, mais les motifs en fils
d'or étaient brodés uniquement par les hommes.
Le
parc d'une surface de 6,7 ha contient des parcelles d'arbres fruitiers, un bassin,
des canaux et des pavillons, dont une Tchaïkhana ou Maison de thé.
Le pavillon du nord, jouxtant le bassin, était le harem, avec sa cour
intérieure encadrée par une double galerie d'arcades. Selon la
légende, l'Emir admirait ses femmes qui se baignaient dans le bassin,
du haut de la galerie qui domine le bassin. Il lançait une pomme à
la jeune promise qui devait lui consacrer la nuit.
Ce pavillon est transformé en exposition de tapis et suzani, occasion
pour un marchand de vendre ses produits. Le suzani est une toile de coton brodée.
Son nom signifie " aiguille, broderie ". Les plus belles sont brodées
de soie, les moins fines sont brodées au fil de coton. Plusieurs femmes
travaillent de longues bandes qu'elles assemblent par la suite ; ceci explique
qu'il y a parfois des différences de couleur, ou même des raccords
de motifs imparfaits. Les plus belles suzani n'ont pas de tels défauts.
A l'origine, les suzani étaient destinés à recouvrir le
lit des jeunes mariés, c'était une des pièces indispensables
de la dot qu'apportait la femme à son mariage. Par la suite, ils furent
utilisés comme panneaux muraux. Les symboles représentés
avaient un rôle protecteur, comme l'arbre de vie accompagné d'un
coq. L'arbre était le symbole de fertilité, et le coq, celui qui
annonce le soleil, la fin des ténèbres, et repousse les esprits
malins. Le soleil, la feuille de vigne, la grenade, le piment sont d'autres
motifs traditionnels pour souhaiter une vie de bonheur (le soleil), une longue
vie (la vigne), la fertilité (la grenade qui a beaucoup de graines dans
son fruit) ou repousser les mauvais esprits. Notre guide nous conte une petite
histoire personnelle : son mariage a été arrangé, comme
c'est souvent le cas. Sa belle mère lui a dit : " belle fille, avez
vous brodé une suzani ? " " Bien sûr " répond
elle. Elle se précipité au marché pour en acheter une petite.
Le jour du mariage, la belle mère brandit fièrement une grande
suzani de 2 m² : " voyez ce que fait ma belle-fille ". Bien sûr,
la belle suzani de 2 m² a été achetée au bazar.
Les jeunes mariés se livrent ensuite à un petit jeu : celui ou
celle qui frappe le premier le pied de l'autre sera le chef à la maison.
Devinez qui a touché le premier le pied de l'autre : notre charmante
guide, bien sûr.
Delà nous nous rendons vers un autre monument qui est en dehors de la
vieille ville :
le Tchor Minar. Son nom signifie " quatre minarets " et il
est effectivement doté de quatre minarets. A l'origine, c'est l'entrée
d'une madrasa construite par un riche négociant ; la madrasa a été
démolie en 1809 et seuls restent les minarets. Le mécène
avait quatre filles, chacune avec son caractère particulier. Il leur
a dédié à chacune une tour. À côté,
un bassin est en contrebas de la voirie. Le niveau de la chaussée a monté,
sans doute suite aux destructions dont les débris ont été
réutilisés en fondations. Il y avait à l'origine quatre
bassins mais trois ont été ensablés pour éviter
la prolifération d'insectes nuisibles. Cela n'a pas empêché
le salpêtre de se déposer à la base des murs de briques,
signe que l'humidité est présente. On nous dit que cela vient
de la remontée de la nappe phréatique à la suite de l'irrigation
excessive de l'oasis. Ce phénomène est apparu au XXe siècle.
On remarque aussi des morceaux de poutre en bois enchâssés dans
le mur : ce sont les embouts d'échafaudage qui étaient inclus
dans la construction. On a scié la poutre et laissé l'extrémité
à la fin des travaux.
Une famille garde le monument et fait payer pour monter à l'étage.
Ils ont installé une buvette à leur garage et, une boutique d'artisanat
classique (voilage tissus, céramique) dans le hall du monument.
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