La Place des Victoires

Le vicomte François d'Aubusson, marquis de la Feuillade, entreprend d'élever une statue triomphante en l'honneur de Louis XIV.

Le courtisan, qui a acheté l'hôtel de Ferté-Senneterre en 1683, ordonne sa démolition afin le libérer l'espace nécessaire à la création d'une nouvelle place, l'actuelle place des Victoires. Il possède déjà un hôtel à l'emplacement de l'actuelle Banque de France et désire ainsi s'attirer les bonnes grâces du souverain. Il associe financièrement la Ville de Paris à son projet pour donner à l'endroit un cadre architectural digne du Roi-Soleil.

Les expropriations et démolitions sont organisées par Jean-Baptiste Predot. Jules Hardouin-Mansart est chargé du projet architectural, en 1685. Il lui donne la forme d'un fer à cheval enserrant les hôtels de la Pomponne et de Rambouillet de manière symétrique, de part et d'autre de la rue d'Aboukir. La place, Dun rayon de 31 mètres, est interrompue par la rue Catinat, la rue de la Feuillade, la rue Vide-Gousset, la rue des Fossés-Montmartre (actuelle rue d'Aboukir) et la rue du Reposoir (aujourd'hui détruite). Le groupe sculpté, d'une hauteur de 12 mètres, est visible dans un angle de 18° à partir du périmètre de la place. Hardouin-Mansart dessine les plans de l'hôtel de la Vrillière qui comporte un rez-de-chaussée percé de fausses arcades ainsi que deux étages inégaux reliés par des pilastres ioniques. Les façades sont construites par Predot entre 1687 et 1690. L'inauguration de la place intervient le 26 mars 1686.

La statue installée au centre représente le roi en costume de sacre, le front ceint des lauriers de la Victoire. Le piédestal est orné de quatre bas-reliefs, deux médaillons et de quatre statues de captifs en bronze. Ces statues d'esclaves symbolisent les nations vaincues à la Paix de Nimègue, en 1679. Chefs-d'oeuvre de la sculpture expressive du XVIIe siècle, elles portent les noms de l'Espagne, l'Empire, le Brandebourg et la Hollande. Chacune exprime un sentiment différent dans l'épreuve de la captivité : la révolte, l'espérance, la résignation et l'abattement. Oeuvres de Martin Desjardins (Martin Van den Bogaert), ces sculptures monumentales réalisées en en 1682 illustrent parfaitement le principe classique selon lequel les œuvres colossales doivent être parfaitement finies de façon à pouvoir être vues aussi bien de près que de loin.

Satisfait, Louis XIV offrira 120 000 livres à La Feuillade qui avait déboursé 7 millions dans l'opération. Il décède ruiné d'avoir voulu plaire à son Roi.

Le projet de la place des Victoires comporte, au pourtour, quatre groupes de colonnes de marbre jaspé soutenant des corniches de marbre rouge surmontées de gigantesques fanaux de marine. Ils sont ornés de vingt-quatre médaillons relatifs aux événements importants de la vie de Louis XIV, réalisés par Pierre le Nègre et de Jean Arnould sur des dessins de Pierre Mignard. La majeure partie reste à l'état de modèles en plâtre qui disparaîtront avec le temps. En 1699, les lanternes sont supprimées par soucis d'économie. Les fanaux, qui n'étaient plus entretenus, sont détruits en 1718.

Le Louvre conserve huit médaillons en bronze, dont deux ornaient le piédestal de la statue équestre. Cinq d'entre eux sont offerts par le roi Georges V au printemps de 1914. L'Hérésie détruite et Les Duels abolis, destinés au piédestal, sont l'oeuvre de Desjardins ainsi que La Soumission du duc de Gênes et Les Suédois établis en Allemagne. Le Louvre conserve trois des médaillons de Pierre le Nègre et de Jean Arnould sur des dessins de Pierre Mignard : les Magnifiques Bâtiments de Versailles, les Suédois rétablis en Allemagne et la Jonction des deux mers. Le Louvre conserve également les bas-reliefs de la statue équestre.

L'un d'entre eux, La Préséance de la France reconnue par l'Espagne, illustre un épisode célèbre des relations politiques entre les deux pays après la rupture de leurs relations diplomatiques décidée par Louis XIV. Philippe IV d'Espagne, craignant un conflit, envoie le comte de Fuentes à Paris en signe de soumission. Le roi est représenté entouré de son frère et de ses conseillers parmi lesquels le chancelier Séguier, le prince de Condé et Colbert. L'art de Desjardins use de la perspective tout en conservant la technique du relief.

La Paix de Nimègue, seul sujet rectangulaire traité par allégorie, est placée sur la face principale du monument. Le relief représentera le temple de Janus devant lequel le roi conduit la Paix - femme tenant une branche d'olivier, conduisant enchaînés un lion et un agneau - à l'Europe - femme assise devant un cheval. Derrière eux la Justice - tenant une épée et une balance - et l'Histoire - écrivant sur une tablette - témoignent de la grandeur du roi. Les trophées d'armes sont accrochés à un palmier. La Renommée vole, soufflant dans la trompette de la gloire.

La statue royale est déboulonnée le 10 août 1792. Sept monuments, inspirés de l'art égyptien, devaient combler le vide. La statue du général Desaix, représenté en guerrier de l'antiquité (dans la tenue d'Adam), est installée en 1810, puis retirée pour cause d'atteinte à la pudeur. Louis XVIII passe commande d'une nouvelle statue équestre de Louis XIV au sculpteur François-Joseph Bosio et à l'architecte Alavoine. Cette statue, inaugurée le jour de la Saint-Louis, le 25 août 1828, représente le roi en tenue d'empereur romain, chevauchant un cheval cabré dont l'équilibre est assuré par la queue fixée au piédestal. Le socle de marbre blanc comprend deux reliefs représentant le passage du Rhin et l'institution de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.

La place, devenue très commerçante, est défigurée par l'élargissement de la rue de la Feuillade, en 1828, et de la rue Croix-des-Petits-Champs, en 1837. Le percement de la rue Etienne-Marcel, en 1883, entraîne la démolition de l'hôtel de la Pomponne.