Le Désert de Retz

Le Désert de Retz est un jardin anglo-chinois créé en 1772 par un aristocrate, François-Nicolas-Henri Racine de Monville. Il est aujourd’hui l’un des rares jardins à subsister dans une forme proche de sa création d’origine. Son créateur le nomma « Désert », à l’instar de l’Alceste du Misanthrope de Molière, pour évoquer ces endroits isolés où on aimait se retirer et recevoir sans étiquette.
Il n'y a donc pas de château comme le veut l'usage, mais des habitations plus modestes, ce qui n'empêche pas qu'elles puissent être imposantes.
François-Nicolas-Henri Racine de Monville est né en 1734. Il est le fils d'un receveur des impôts du Roi, rattrapé par une lettre de cachet et mis en prison à Port-Louis. François est élevé par son grand père qui est grand maître des eaux du roi et très riche. François est grand, il mesure 1,84 m ce qui est beaucoup pour son époque. Il est beau et il s'intéresse à tout : notamment à la musique et aux arts. Il joue de la harpe avec Glück. Bon tireur, il relève un défi mondain lancé par Philippe d'Orléans, au château de La Muette  : lâcher de faisans et tir à l'arc. On lâche un faisan, de Monville l'abat, on lâche le second, de Monville l'abat. L'assistance applaudit. De Monville est aussi excellent cavalier, un danseur envié, un joueur de flûte inspiré. Il est passionné de botanique et d'horticulture, ne rendant pas artificielle sa première charge de Grand Maître des Eaux et Forêts de Normandie.
Veuf à 24 ans, il ne se remarie pas mais on lui prête des conquêtes à la cour de Louis XV... qui l'auraient ruiné. Il possède un hôtel particulier situé rue d'Anjou, déjà novateur pour son temps car il est équipé de chauffage central. L'hôtel particulier est abattu au XIXème siècle pour percer le boulevard Malesherbes.
En 1774, Racine de Monville acquiert 13 hectares comprenant le village de Saint-Jacques de Roye (d'où le nom « Retz ») et son église, le tout en ruine, ... non loin de Louveciennes où est « exilée » la duchesse du Barry. Retz n'a donc rien à voir avec le cardinal de Retz, le fondateur de l'abbaye de Port-Marly.
Racine de Monville en fait un lieu d'enchantement intellectuel où chaque élément a sa place et une symbolique. Le « temple au dieu Pan » est édifié le premier, suivi du « pavillon chinois », qui est habitable. Petit à petit le domaine est agrandi et atteint 40 hectares en 1792. Le propriétaire fait édifier ce qu'on appelle des « fabriques », de l'italien « fabrica », qui signifie « fait à la main », par opposition à ce qui est naturel.
Grand amateur d'arbres, Monville passe commande en 1777 de plusieurs milliers d'arbres et arbustes auprès des pépinières royales. Sa commande surprend par son ampleur et il faut des années pour la satisfaire. Il collectionne dans ses serres chaudes, équipées d’un système de chauffage pour l’hiver, de multiples essences tropicales. Le terrain est vallonné, un étang et une île « du bonheur » recueillent les eaux de pluie et inventent des scènes bucoliques. Le terrain est en cuvette, argileux donc imperméable. Les eaux sont captées par capillarité dans du sable et et dirigées par canalisations en pente douce jusqu'à Saint-Germain en Laye. En 1781, on construit la Colonne détruite qui devient l’habitation du propriétaire, puis la Glacière en forme de pyramide, pour conserver la glace, la Tente tartare (initialement "tente avec un dôme fait à la manière siamoise") pour l'escrime, et le Rocher qui est la porte d'entrée en rocaille située du côté de Versailles.
Symbole des débuts de l’humanité, la porte soumettait le visiteur à un passage initiatique de l’obscurité à la lumière, de l’obscurantisme à la connaissance, car le visiteur devait se pencher pour passer sous un porte basse et sombre, seulement éclairée les soirs de fêtes par des flambeaux portés par des serviteurs (étaient-ils noirs ?).
Chaque fabrique a une signification symbolique : le pavillon chinois incarne le confort de l'habitation et le raffinement de la civilisation chinoise, le théâtre est d'inspiration grecque, comme la tragédie, l'église est en ruine, comme l'Église, non loin, à bon escient, la glacière est sous une pyramide en parfait état, survivance de l'Égypte, métaphore de la perfection maçonnique, également symbole de la conservation pour la glace qu'elle enferme.
La « colonne détruite » est un fragment d'échelle colossale de colonne dorique dont la partie supérieure est détruite, comme pour signifier que la civilisation se ruine, comme la tour de Babel. La tente tartare évoque la civilisation ottomane. La cuisine est séparée et assez éloignée et reliée à l'habitation par un souterrain. Elle occupe l'ancienne maison bourgeoise de la propriété de 13 hectares acquise par Racine de Monville en 1774.
Le temple du repos est une simple rotonde d'arbres précédée d'une porte à deux colonnes. Un ermite habitait l'ermitage et devait se conformer à l'image de l'ermite : interdiction de de se laver, de se couper les cheveux, et les ongles.
Racine de Monville a dessiné lui-même les esquisses des fabriques et le plan des jardins. Il a engagé un jeune architecte, François Barbier, pour passer à l'exécution. Ce dernier soutint (sans doute à juste titre) avoir créé la pyramide glacière et demanda en justice la révision de ses gages. Ces revendications indisposèrent M. de Monville qui le chassa et le remplaça par un simple dessinateur.
Le roi Gustave III de Suède, Marie-Antoinette, la comtesse du Barry, mais aussi Benjamin Franklin et Thomas Jefferson, tous deux francs-maçons, sont accueillis au domaine. Racine de Monville fréquente des francs-maçons. On se soucie du bien être des peuples.... Les anonymes peuvent le visiter, en achetant un billet.
Racine de Monville et ses hôtes vivaient sur place dans une quasi-autarcie : le potager et le verger en carrés étaient cultivés de fruits et légumes, la métairie faisait l’élevage de vaches laitières.
A la Révolution, en 1792, il vend son domaine à un anglais, Disney Ffytche et fait des dons patriotiques pour se racheter. Mais rien n'y fait : il est arrêté à Saint-Nom la Bretèche et emprisonné. Il n'échappe à la guillotine que grâce à la chute de Robespierre. Il meurt en 1797 dans la sous-pente qu'il partage avec une danseuse parisienne.

En 1797, le domaine est confisqué. Disney Ffytche le rachète et se fait à nouveau exproprier par Napoléon à cause du blocus britannique.
De 1827 à 1856, s’y succèdent Alexandre Denis puis la famille de Jean-François Bayard, dramaturge et neveu d’Eugène Scribe.
Frédéric Passy en prend possession en 1856. Il sera le 1er prix Nobel de la paix, pour avoir créé la Société des Nations, ancêtre de l'ONU en 1910. Sa famille occupe le domaine jusqu'en 1950. Il fait des modifications, notamment il rajoute un étage à la Colonne détruite, pour accueillir 9 de ses 12 enfants. Il reprend l'embellissement du parc et plante de essences rares.
Il devient locataire de son domaine quand, ne pouvant rembourser sa dette, il est exproprié par la banque, le Crédit foncier. Celle-ci rétrocède le domaine, en 1936, à la Société Fermière de Joyenval qui projette de rentabiliser l'emplacement en créant une ville nouvelle et un circuit automobile. Le terrain est proche de l'autoroute A13 ce qui en fait un atout pour l'accès.
Une association défend le domaine contre ce projet utopique. Jean-Charles Moreux et  Colette se joignent aux protestations jusqu'à son inscription à l'inventaire des monuments historiques par arrêté du 2 août 1939 et son classement comme monument historique par décret du 9 avril 1941.

Mais les propriétaires négligent le domaine qui se délabre : les terrains sont envahis de buissons, les arbres séculaires plantés par de Monville sont entourés de forêt vierge, ce qui peut expliquer qu'ils n'ont pas de branches basses bien souvent ; les étangs sont embourbés et les bâtiments sont délabrés. Prés de la moitié des fabriques ont totalement disparu. En 1970, le pavillon chinois, en bois, s'effondre.
En 1966, André Malraux fait référence au délabrement du Désert de Retz pour justifier un projet de loi de sauvetage des monuments historiques permettant à l’État de mettre en demeure les propriétaires, qui se désintéressent de l’entretien de leur patrimoine classé, de faire procéder à des travaux de réparation. En 1973 la sauvegarde des fabriques subsistantes est entreprise sur réquisition de la Caisse nationale des monuments historiques. De 1973 à 1979, la Glacière pyramide, le Temple au dieu Pan, le Théâtre découvert et la Colonne détruite sont réhabilités. Mais l'État abandonne à son tour et le domaine paraît condamné au cycle infernal de défaillances successives.
En 1981 la banque Worms se retrouve propriétaire du site, en gage de créances. Elle le rétrocède à la société civile du Désert de Retz, qui s'engage à le restaurer.
La zone agricole, à l'ouest, soit 20ha, dont les fabriques ont été éradiquées, est consacrée au golf. Le loyer payé par le golf permet d'entretenir le domaine jusqu'à ce que le golf conteste le contrat (loyer indexé sur un indice inadapté). Après des péripéties juridiques, le golf reste indépendant du domaine. Il conserve les 20 ha qu'il occupe et le domaine réduit à 18 ha est repris par la commune de Chambourcy. Ses revenus sont des subventions (Conseil général, ministère de la culture) et le mécénat. Les visites, organisées par une association culturelle, à but non lucratif, et la vente de documents permet de payer l'entretien du parc.
Le domaine est un témoignage vivant de toute la difficulté de faire vivre et sauvegarder un patrimoine remarquable et non rentable.
En 1999, la tempête dévaste des arbres séculaires. Le premier chantier consiste à réhabiliter le parc : nettoyer le chablis, on évacue 14560 stères de bois (1450 m sur 1m et 1m).
Faisons maintenant le tour du domaine et de ses fabriques : elles sont judicieusement implantées au gré du vallonnement pour que d'un lieu, on ne voit en principe qu'une fabrique. Le visiteur a ainsi l'impression de révélations successives et l'espace paraît beaucoup plus vaste qu'il n'est réellement.
Il ne subsiste que le soubassement en pierre du pavillon chinois; la superstructure en teck, support de sa magnificence, n'est plus qu'un souvenir. Du théâtre découvert ne reste qu'un rectangle au sol et un pot à feu chinois dans un angle, du temple du repos deux mélancoliques colonnes …

Les fabriques :

La Maison chinoise (détruite)
Construite vers 1777-78, c'était la première habitation de M. de Monville au Désert de Retz et la première véritable maison chinoise construite en Europe. Elle s'est, écroulée sur elle-même au début des années 1970. Entièrement construite en teck importé d'Inde, elle reposait sur des fondations de pierre.
Les façades, composées de panneaux ajourés, étaient peintes de violet et de rouge. Le toit, couvert d'ardoises taillées en écailles de poisson, formait une terrasse d'où se penchait la statue d’un personnage chinois. A l'intérieur, un appartement complet comprenait au rez-de-chaussée un vestibule, une antichambre, un salon avec alcôve à l'oriental tapissée de papier blanc à motif floral, un office, un cabinet, où se trouve un poêle et une garde-robe. Au premier étage, accessible par un escalier dérobé, un bureau-bibliothèque était équipé de rayonnages en acajou massif. Cette maison chinoise traduisait l'admiration vouée au Céleste Empire. Avec ses dépendances, son jardin particulier clos de portes décorées de mâts et de clochettes, cet ensemble était le premier essai de transcription d'une réalité chinoise dépassant de loin les évocations ponctuelles de l'Orient qu'on connaissait alors.


Le Théâtre  découvert
sous un berceau de grands ormes
théâtreA l'origine, le mur de scène était agrémenté d'un bas-relief en trompe-l'œil, inspiré du peintre ? représentant des Amours traînant Bacchus sur son char, Dieu romain de la végétation, de la vigne et du vin, son culte a contribué au développement de la tragédie. Cette scène était abritée, jusqu'au milieu du XIXe siècle, par de grands ormes formant berceau, vestiges de l'ancienne allée menant à la porte.
Deux pots à feu chinois à pattes de lion ont encadré le mur de scène. Du temps de Monsieur de Monville de nombreuses pièces y étaient jouées. Ce théâtre était aussi  destiné à offrir aux spectateurs  le décor panoramique d'une scène poétiquement aménagée par l’homme.
 


Le Temple au dieu Pan

temple dieu panC'est une des premières fabriques construites par Monsieur de Monville vers 1775. Elle évoque la Grèce classique, symbole même de la philosophie. Il se compose d'un avant-corps semi-circulaire orné de colonnes toscanes, d'une salle de repos presque carrée, dont le sol était carrelé de marbre noir et blanc, et meublée d'un sofa recouvert d'une ottomane. Les niches des deux arcades latérales abritaient une statue. Cette fabrique était le salon de musique de Monsieur de Monville, homme aux talents multiples qui touchait d tous les instruments. Il excellait à la harpe, pour laquelle il a composé des ariettes.


La Colonne détruite
colonne détruite

Fabrique principale du Désert de Retz construite en 1781, elle devint l'habitation de Monsieur de Monville au Désert de Retz, après la Maison chinoise. D'un diamètre de 15 mètres, elle s'élève à 25 mètres environ en sa partie la plus haute. Des appartements étaient disposés avec recherche et symétrie sur quatre niveaux, distribués par un escalier central hélicoïdal, éclairé par une verrière, en opposition avec l'extérieur d'aspect volontairement ruiné, l'aménagement intérieur était d'un extrême raffinement. Les cheminées en marbre blanc, décorées de feuilles d'acanthes, étaient surmontées de miroirs qui reflétaient le paysage extérieur composé par Monville. Les rideaux étaient en toile de Jouy, les meubles en acajou. Les cuisines étant situées dans les communs, les plats étaient acheminés par un tunnel qui débouche dans la cave. Image d'un nouvel intérêt pour le monde romain et son organisation, cette colonne est comme le vestige d'un temple colossal dont on vient de découvrir le premier élément. Monument sans antécédent élevé à la veille de la Révolution, était-il le symbole de la ruine prochaine d'un ordonnancement propre au monde européen ?


La Glacière en forme de pyramide
glacière

On achète de la glace qui est acheminée de Savoie.  Pour éviter qu'elle ne fonde trop vite, elle est enveloppée de paille.
Construite sur trois niveaux : une cuve, profonde de 6 mètres, en forme de demie barrique et dotée d'un puisard, un soubassement carré et une pyramide. Cette fabrique servait à la conservation des denrées périssables et de la glace, destinée à la confection de sorbet et à refroidir les boissons.
Durant l'hiver, neige et blocs de glaces étaient entassés au fond de la cave sur un plancher de bois à claire-voie. De l'eau était ajoutée afin de créer un bloc compact, le tout isolé du mur par de la paille de seigle fixée sur une armature légère. Sur un plancher supérieur, calé par de grosses pierres reposaient les denrées. La porte d'accès biseautée et orientée au nord, était en bois.
L'accès à la glacière se faisait essentiellement en début ou en fin de journée afin de préserver le froid. La pyramide illustre l'Egypte et sa civilisation. Métaphore de la perfection maçonnique, elle a été située, volontairement près de l'Eglise gothique ruinée. Symbole également de la conservation, c'est à dessein qu'elle a été placée sur une glacière.


L'Église gothique ruinée

église ruinéeSeule ruine authentique du domaine, c'était la chapelle de l'ancienne paroisse Saint-Jacques-de Retz, construite au début du XIIIe siècle. Tombant en ruines au début du XVIIIe siècle, elle fut désertée par les fidèles qui préférèrent, plutôt que de la rénover, aller à l'office de l'abbaye de Joyenval située non loin de là.
Cette fabrique symbolise l'Église catholique dépassée par la modernité du XVIIIe siècle. A l'image des tableaux du peintre Hubert Robert représentant les ruines de villes impériales romaines, avec leurs temples religieux et leurs autels à l'abandon, elle illustre l'idée que pouvoir et religion sont éphémères.


La tente tartaretente tartare
Située sur l’île du bonheur, cette tente à armature de bois recouverte de tôle peinte à larges rayures turquoise et jaune, se termine par une verrière.
Tendue à l’intérieur de toile de Jouy, elle servait de salle d’armes.
Elle évoque des contrées lointaines inexplorées, des lieux qui incarnent l’exotisme.



Subsistent au moins en
partie (numéros rouges):

1 - colonne détruite
2 - rocher-grotte
(porte de la forêt)
3 - temple au dieu Pan
4 - église gothique ruinée
6 - laiterie
10 - île du bonheur
(avec la tente tartare)
14 - pyramide glacière
16 - communs
17 - théâtre découvert
18 - temple du repos
19 - petit autel
presque ruiné

 

 

 

 

 

 

 

désert de retz, plan

Ont totalement disparu
(numéros bleus) :

5 - pavillon chinois
7 - métairie arrangée
8 - ermitage
9 - orangerie
11 - serres chaudes
12 - chaumière
13 - tombeau
15 - obélisque