Récit de voyage en Ouzbékistan :
Vendredi 15 juin 2007 : Boukhara - Nourata - Baymourat
Il faut toujours aussi beau ce matin. Du balcon de l'hôtel, je reconnais
les monuments lointains de Boukhara, et notamment le minaret Kalon. La piscine
à mes pieds est vide et ne me tente guère, car l'eau est trouble.
Je m'y suis baigné hier soir, quelques minutes seulement. J'ai en mémoire
une piscine d'un hôtel thaïlandais, à la frontière
du Cambodge où l'eau était trouble. Je m'y baignais pourtant,
parce qu'il faisait vraiment chaud. Le lendemain, une nuée de petits
boutons rouges germait
sur ma peau. Heureusement c'était le dernier
jour du voyage.
Aujourd'hui, nous nous dirigerons vers le désert Kyzyl Kum pour passer
la nuit dans un campement de yourtes.
Nous déjeunerons chez l'habitant, à mi-route, à Nourata
que nous visiterons demain, sur la route du retour (et de Samarcande). Il y
a entre 250 et 300 km (j'ai lu des informations différentes à
ce sujet) à parcourir en 3h30-4h aujourd'hui et 350 km pour demain.
La route est large, rectiligne, souvent à deux fois deux voies. La chaussée
est déformée et fissurée par le temps. Cela me rappelle
Cuba : larges autoroutes avec aucune circulation motorisée, seulement
des vélos ou des piétons !
Sur la route, notre guide nous relate, comme à chaque fois qu'elle en
a l'occasion, des faits historiques ou culturels qui nous aident à mieux
comprendre le pays et son peuple. C'est un peu désordonné, mais
je vous livre ce que j'ai noté au fur et à mesure :
- Boukhara, Khiva, Samarcande sont des villes d'oasis. L'eau a toujours été
au cur des besoins vitaux. Dans le désert on la puise et les puits
sont à l'abri d'une construction appelée sardoba.
- Deux mondes se côtoient dans les villes : les marchands nomades qui
parcourent le désert sur les chameau de Bactrienne, comme d'autres marchands
sillonneraient les mers sur des boutres, et les sédentaires, agriculteurs
ou artisans. Les nomades sont aussi des guerriers et les envahisseurs. Mongols
ou Turcs sont toujours arrivés du désert. On fait appel aux nomades
pour protéger les villes, en temps de paix. Les nomades fabriquent aussi
des objets par exemple en cuir avec les peaux de bêtes, mais aussi des
bijoux. Les sédentaires produisent la céramique qui nécessite
des installations de cuisson ainsi que les produits agricoles.
- La route de la soie a existé avant la soie de Chine. D'ailleurs elle
a été nommée ainsi par un le géographe allemand,
Ferdinand von Richthofen, en 1877. C'est vrai qu'on transportait de la soie,
mais pas seulement cela. Il y a toujours eu des échanges dans les déserts
d'Asie centrale. Un réseau de logistique s'était mis en place
avec des caravansérails tous les 100 km, pour que les marchands se reposent
ou échangent des marchandises. On parcourt 25 km par jour et on peut
changer de bêtes pour qu'elles se reposent. De même les marchands
ne font pas le trajet de bout en bout. Ils peuvent se relayer entre eux. Aux
points de rupture, la marchandise est échangée. C'est du troc.
Je te donne des mètres de soie et tu me donnes du sel pour les bêtes,
par exemple. Il n'y a de monnaie ni de banque pour véhiculer (comme aujourd'hui)
le paiement de la marchandise de l'acheteur final au vendeur initial
La
soie chinoise a été échangée plusieurs fois sur
son trajet jusqu'en Europe. Quant au risque de pillage ou de perte, il n'est
pas vraiment géré, d'où l'importance des alliances militaires
qui sécurisent le trajet.
J'ajoute que les assurances n'existent pas en Asie centrale puisque c'est avec
le transport maritime entre marchands génois, florentins, vénitiens
que sont apparus les premiers contrats d'assurance. De fait, la plus ancienne
police d'assurance maritime date de 1329.
- L'homme a trois devoirs à accomplir dans sa vie : construire une maison
pour sa famille, avoir un fils pour lui succéder, et planter un arbre.
On s'entraide au sein de la mahala, le quartier. On a toujours une dette envers
quelqu'un : l'enfant a une dette envers ses parents qui l'ont élevé,
le bénéficiaire de travaux collectifs a une dette envers la communauté.
Barrage de police
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En cours de route, nous sommes arrêtés parce que la voie est interdite.
Une voiture banalisée est en travers et des hommes en civil en faction.
Un policier, uniforme vert, explique au chauffeur que la route est barrée
à la demande du président qui visite une ville ou une usine. Même
punition qu'hier : nous devons lui laisser la voie libre,
et nous rabattre
sur une route en mauvais état, qui fait un détour. Nous devions
traverser la région de Navoï et voir une citerne à eau (sardoba).
La région a une tradition industrielle, et pour cette raison, elle fut
longtemps interdite aux étrangers. C'est une vieille tradition du pays
d'interdire l'accès aux étrangers. Mais qu'ont-ils donc à
cacher ? Dans les champs, des journalistes ont repéré des enfants
forcés de travailler à la récolter du coton. On peut imaginer
qu'il y a bien quelque chose à cacher. Du temps des émirs, tout
étranger qui transgressait cet interdit risquait la peine de mort ! On
a dit que les espions anglais se déguisaient en marchands, sous cape
.
La région de Navoï a été transférée
du Kazakhstan à l'Ouzbékistan par l'URSS, ce qui n'a pas arrangé
les relations un peu difficiles entre voisins. Il y a toujours eu une rivalité
entre kazakhs et ouzbeks et cela se traduit par des plaisanteries, un peu comme
les histoires " belges ". En voilà une : un Ouzbek plante un
arbre, pour ses enfants. Le voisin Kazakh lui dit : " arraches cet arbre.
Il me gâche la vue sur la campagne ". Moralité : le Kazakh
vit au présent, et n'attache pas d'importance aux biens d'autrui.
Après l'indépendance de 1991, beaucoup d'ingénieurs russes
sont partis et ceux qui sont restés sont choyés : bons salaires
par rapport à ceux du pays, logements de fonction etc
car le pays
a besoin d'eux.
slogans
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Sur le chemin, on remarque de grandes pancartes de slogans. Ce sont les messages
du gouvernement, suivant une bonne tradition communiste. Chaque année
porte un thème : l'année de la femme, l'année de la santé,
l'année des enfants, l'année de la politique sociale,
des
mots qui ne se traduisent pas forcément dans la réalité,
précise notre guide. Par exemple, le gouvernement n'a pas payé
les congés de maladie ces derniers temps
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