Suite du journal de voyage en Ouzbékistan : Boukhara (page 5/7)
Visite du centre de la vieille ville :
En raison de la chaleur, notre visite reprend seulement à 15 h. Comme
ce matin, le car nous dépose au départ de notre promenade, qui
va aller du Liab-i-Khaouz (ou Lyabi Hawz), le " bassin sacré ",
au cur de la ville, jusqu'à la madrasa d'Oulough Begh, vers le
nord. J'avoue avoir un peu de mal à me repérer, malgré
le petit plan qu'on nous a remis et c'est de retour en France, avec un plan
complet de la ville trouvé sur internet, que je visualiserai mieux les
endroits où nous sommes allés. Les déplacements en car
ne favorisent pas la bonne orientation. Il n'y a rien de tel que de circuler
à pied dans une ville pour en comprendre l'organisation.
Liab-i-Khaouz
est un vaste bassin de 45 m de long sur 36 m de large, bordé de vieux
mûriers. Le bassin dispense de la fraîcheur même aux heures
chaudes de l'été. A l'époque de sa grandeur, Boukhara comptait
une centaine de bassins de ce type, dont le Liab-i-Khaouz est le seul survivant.
A l'ombre des mûriers, les terrasses des tchaï-khanas (restaurants
ou littéralement " maisons de thé ") sont un lieu de
repos et de rencontre à tout moment de la journée, même
tard le soir. C'est là que nous avons dîné hier soir et
que se cristallisent nos premières impressions de la ville.
Une légende raconte qu'à l'emplacement du bassin, se trouvait
jadis la maison d'une femme juive. Celle-ci refusa de déménager
pour permettre la construction du bassin. Le vizir décida alors de creuser
un canal de chaque côté de sa maison. Le vizir gagna la partie,
car la maison rongée par l'humidité devint inhabitable. Cette
histoire d'expulsion marqua les habitants de la ville, qui baptisèrent
le bassin Khaouz Bazur : le bassin de la contrainte.
Quelques
anciens à barbe blanche - on les appelle Aksakal en ouzbek - vêtus
en caftan rayé et coiffés du bonnet carré ou d'un turban
y passent leur temps, assis en tailleur, sur des sortes d'estrades qu'on appelle
Tapchan. Ils jouent aux dominos, regardent le temps passer ou sirotent
un thé. La société les respecte et il est d'usage de leur
demander conseil pour les événements importants du quartier.
Le soir, les jets d'eau se déclenchent à la périphérie
du bassin et chassent les derniers enfants qui plongeaient et nageaient pour
se rafraîchir,
Face au bassin, une statue en bronze de Nasreddin Khoja juché sur un
âne vient apporter un peu de dérision. On trouve de nombreuses
orthographes de son nom (Nasrudin, Nasredin, Nasruddin, Nasr Eddin, Nastradhin,
Nasreddine, Nastratin, Nusrettin) comme s'il avait voulu se tourner en dérision
lui-même.
Nasreddin tient d'une main une pièce pour rappeler l'histoire de ce
vizir, qui faillit se noyer dans le bassin. Il ne savait pas nager et ne savait
qu'amener les bras vers lui comme s'il voulait amasser des pièces invisibles,
par habitude de son avarice. Nasreddin tenta de le sauver : " que me donnes
tu si je te sauve ", " tout mon or ", répond le malheureux.
Nasreddin lui tendit une pièce : " alors viens la prendre et je
te sauverai ". Le vizir fit les bons mouvements qui le propulsèrent
à la rive et il fut sauvé. Par avarice, il était prêt
à tout pour gagner une pièce. Quant à sa promesse...
et une autre historiette :
Nasreddin va à la mosquée. Les fidèles sont déjà
rassemblés. Ils attendent car l'imam est décédé
et ils ont décidé que le denier à arriver se chargera de
mener la prière. C'est Nasreddin qui se présente le dernier. On
lui explique qu'il doit mener la prière : " écoutez mes frères,
fils de chiens, faites la prière à votre façon et rentrez
chez vous ". Il revient le lendemain et il arrive le dernier. On lui demande
encore de dire la prière et il leur dit les mêmes paroles.
Le troisième jour, il arrive à nouveau le dernier. L'assemblée
s'agite et murmure. La moitié des fidèles dit qu'elle veut une
prière car elle ne sait pas prier. L'autre moitié dit qu'elle
sait se recueillir. " La moitié doit dire aux autres la prière
à prononcer " décide Nasreddin.
Par dessus les cimes des mûriers se dessinent les somptueux pishtak
(portails d'entrée) de la madrasa et de la khanaka Nadir Divan-Begui
(ou Nadir-Divanbeg ou Nodyr Divan Beghi) qui se font face respectivement à
l'est et à l'ouest du bassin. Pour mémoire, la Khanaka est un
caravansérail pour les derviches pèlerins. C'est là que
descendaient les hôtes de marque qui pouvaient y donner des conférences
mystiques.
La
Madrasa Nadir Divan-Begui (1622-1623) a bénéficié d'un
style décoratif très riche, où le jaune et le marron viennent
égayer la palette traditionnelle de couleurs des mosaïques. On pense
que c'est une influence indienne. Sa façade est ornée de grands
oiseaux simorgh, à la limite de ce que tolère l'islam (pas de
figuration ni d'homme, ni d'être vivant sur les édifices religieux).
Au nord, un peu en retrait, la madrasa Koukeldash est plus ancienne car
elle date du XVIe siècle (1568-1569), tandis que la madrasa et la khanaka
Nadir-Divanbeg ont été construites en 1620 en même temps
que le plan d'eau.
La madrasa Koukeldash est la plus grande madrasa de la ville : elle mesure 80
m sur 60 m et comprend 166 cellules réparties sur deux niveaux, dont
certaines donnant sur l'extérieur.
Sa décoration est classique, à base de mosaïques de couleurs
bleu, blanc et vert.
Nous
longeons le bassin Liab-i-Khaouz en direction des coupoles marchandes, construites
à la limite de l'ancienne ville. Elles datent du XVIe siècle.
La Tok-i-Toulpak était réservée aux chapeliers, la Tok-i-Zargaron
aux bijoutiers et la Tok-i-Sarrafon aux changeurs.
Chaque Tok comprend des marchands d'artisanats : soieries, poteries, miniatures,
chapeaux, etc. L'air qui circule donne une impression de fraîcheur alors
qu'à l'extérieur il fait plus de 30°. Les coupoles étaient
reliées par un souk couvert, comme dans les pays arabes, mais ces ruelles
sans doute mal entretenues ont été démolies par les Russes.
D'autres marchés étaient abrités du soleil : les Tims.
En remontant la rue Hakikat vers le nord, le tim Abdullah Khan se trouve à
droite après le bazar des chapeliers. Ce marché couvert fut construit
en 1577. Il ressemble à une grande mosquée turque, dotée
de plusieurs coupoles. Il abritait les vendeurs de soie Afghans. On y trouve
aujourd'hui des soieries ikatées, tissées à la main, et
des tapis de toutes provenances. Leur fond est rouge, couleur de la flamme des
zoroastriens. Ils étaient faits principalement à Khorezm.
Non
loin, se cache la petite Mosquée Magok-I-Attari. Elle est enfoncée
dans le sol de près de 4,5 m, d'où son nom Maghok qui signifie
" souterrain ".
Avant la conquête arabe se trouvaient à cet emplacement un marché
et un temple bouddhique, puis un temple zoroastrien dédié à
la lune. La première mosquée fut construite au IXe siècle
sur les ruines du temple, comme il était d'usage à cette époque.
Elle fut entièrement reconstruite au XIIe siècle et remaniée
au XVIe. Elle avait pratiquement disparu du paysage urbain, cachée par
des maisons, quand elle fut découverte, en 1839, par Chichkine, le même
archéologue qui avait mis au jour le mausolée Samani, dans le
cimetière. Elle est faite de briques comme le mausolée Samani.
L'intérieur est lumineux, éclairé par des fenêtres
dans la coupole. Elle possède des salles à l'étage en plus
de salle principale.
Un jour par semaine, l'édifice accueillait le culte juif. Aujourd'hui,
elle abrite un musée du tapis.
A côté de cette vieille mosquée, un terrain vague, transformé
en jardin mal entretenu, une large rue et un hôtel trop moderne pour le
quartier gâchent un peu l'environnement. C'est dans cet hôtel que
je me rendrai pour faire du change où la caissière tentera de
subtiliser 2 billets sur 100 (je l'ai raconté au début de ce récit).
Cet hôtel est tenu par des Russes, reconnaissables à leur allure.
Il faut s'avancer vers d'autres coupoles marchandes (Tok-i-Zargaron, bazar des
bijoutiers) pour retrouver une ambiance historique. Sur le chemin, nous faisons
une halte au vendeur de couteaux. Un feu entretenu par des journaux et bouts
de bois au fond de la boutique donne l'illusion d'un atelier où se fabriqueraient
les superbes couteaux pliants. Le chef, baraqué comme un soldat, moustache
grisonnante, coiffé du bonnet carré brodé, plie et déplie
ses superbes couteaux, découpe des arabesques avec des ciseaux en forme
de cigogne. Ses doigts passent sous la feuille, ce qui autorise toutes les courbes.
Ses produits sont simplement un peu plus chers que chez les vendeurs situés
à 50 m.
Nous aboutissons aux Kosh madrasa, qui se font face, celle d'Oulough Begh et
celle d'Abdoul Aziz Khan. " Kosh madrasa " signifie " deux madrasa
". au sud-ouest de la mosquée Bolo Khaouz, les deux madrasa Modar-i-Khan
et Abdullah Khan sont également appelées " kosh madrasa "
(nous dînerons demain dans la madrasa Modar-i-Khan).
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