Récit de voyage en Ouzbékistan : Khiva - Boukhara (page 1/7)
Départ matinal pour Boukhara en traversant le désert Kyzyl Koum.
Nous avons 460 km de route à parcourir. Le temps est superbe comme les
jours précédents. Le trajet pour Boukhara est long et notre guide,
Gulbara, va égrainer des explications générales sur le
pays, la vie sociale et économique. Je m'endors à moitié
mais je m'efforce de prendre quelques notes.
En
quittant la ville nous apercevons un cimetière ouzbek et une cérémonie
de funérailles.
Seuls les hommes assistent à la cérémonie au cimetière.
Le corps est porté sur la parhia, sorte de berceau, par analogie avec
le berceau de la naissance.
Dans le monde islamique, on n'enterre pas le corps car il est considéré
que cela souillerait la terre. Aussi, le corps est disposé à même
le sol, dans un linceul, sans cercueil. Les tombes sont des buttes en relief,
comme d'ailleurs dans les cimetières musulmans. On ne pratique pas l'incinération.
La tradition exige que le mort ait les yeux ouverts car l'âme part par
les yeux. Il revient aux proches du défunt d'ouvrir les yeux. Enfin,
les hommes portent une ceinture rouge si le défunt est jeune, sombre
s'il est âgé.
La cérémonie de funérailles est organisée par la
communauté ou mahalla, dont on a parlé au début du voyage.
C'est la communauté qui organise aussi les mariages :
Une dame du quartier repère les jeunes gens en âge de se marier
et fait les présentations : on échange d'abord des photos et si
les jeunes se conviennent, la rencontre a lieu. Les femmes du quartier observent
de loin. Si les jeunes gens sont d'accord, on célèbre le mariage.
C'est un investissement pour la famille de la mariée qui doit une dot
comprenant 40 robes (la jeune mariée doit changer de robe tous les jours,
pendant 40 jours !), des draps, des bijoux. La couleur turquoise porte bonheur
tandis que le corail favorise la fécondité. Elle va habiter chez
son mari. Le plus jeune fils reste en général chez ses parents,
avec sa femme s'il se marie. Elle devient la maîtresse de maison à
la naissance du premier enfant. Car il est important qu'elle ait des enfants.
On attendra 40 jours pour présenter l'enfant à la famille, des
fois où il ne survivrait pas. Une fête est alors organisée,
la " fête du berceau ", bechikh toy (le " kh " se
prononce " r ").
Les enfants vont à l'école : le taux d'alphabétisation
est proche de 100%. Dans les villages où l'école est petite, on
donne un cours d'une classe le matin, de 8h à 14h et pour une autre classe
l'après-midi, de 14h à 20h.
Le collège peut déboucher sur une formation technique, économique,
bancaire (depuis l'économie libérale), ou sportive. Les études
sont payantes (180 à 250 USD au collège, 400 à 600 USD
à l'université). Un master coûte 5000 USD. L'Etat aide les
familles nombreuses (3 enfants et plus) seulement en donnant des denrées
de base (blé, huile).
Nous
sommes maintenant en plein désert. La route longe par moments le fleuve
Amou Daria que nous franchissons à un pont bien gardé. Kyzyl Koum
est la plus grande plaine désertique d'Asie Centrale d'une superficie
de quelques 300 000 km carré. Son nom signifie " désert rouge
", car le sable est légèrement rose.
La mer d'Aral s'est asséchée, suite au détournement des
eaux des fleuves qui l'alimentaient (Amou Daria et Syr Daria). Sa disparition
a influencé le climat : elle arrêtait les nuages du fait de l'évaporation
et depuis, la pluie vient plus abondamment à l'intérieur des terres,
comme ce fut le cas cette année.
Nous
nous arrêtons pour une pose, qui permet d'observer de plus près
la végétation : elle est composée d'herbes grasses et de
buissons épineux. Le Calligonum setosum se reconnaît à ses
fleurs semblables à des petites boules de duvet. Les tamaris et les saksauls,
dont les racines plongent à plus de 10 m sous le sol, sont les seuls
arbustes à résister aux chaleurs torrides et à la sécheresse
de ces régions. Ils ont été surexploités pour faire
du charbon de bois et du charbon pour les locomotives.
Chaque année, durant les quelques jours qui suivent les pluies de printemps,
la végétation se réveille et les dunes de sable se couvrent
de fleurs : tulipes, renoncules, rhubarbe... Il paraît que les serpents
venimeux se réveillent aussi à cette époque !
Quant au ciel, il est le domaine des aigles, des buses, mais aussi des alouettes
ainsi que de nombreux oiseaux migrateurs tels que grues, oies et canards sauvages
qui font halte près des lacs et des cours d'eau.
Plus
loin, nous faisons une halte à côté d'un immense troupeau
de moutons au pelage noir : des karakuls, du nom d'un village qui signifie "
lac noir ". On les élève pour l'astrakan : la fourrure bouclée
de jeune agneau qui transitait à l'origine par la ville d'Astrakhan (avec
h), en Russie, capitale d'un khanat mongol aux XVe et XVIe siècles. Cette
fourrure est très prisée pour des manteaux et chapeaux, car elle
a un poil raide et des reflets intéressants.
La production de cette fourrure est contestée car l'astrakan provient
d'agneaux abattus dès leur naissance, ou, ce qui pose un problème
éthique, de ftus de brebis enceintes égorgées dans
les derniers jours de leur gestation.
A mesure où nous nous rapprochons de Boukhara, le désert fait
place à des zones cultivées de coton ou de blé grâce
à l'irrigation. Le terrain appartient à l'Etat et le système
soviétique des kolkhozes et sovkhozes s'est transformé en exploitations
agricoles aux mains de l'Etat (51 %) et des employés. Il n'y a pas d'investissements
internationaux dans ce domaine. L'Etat préfinance les semences, le combustible,
les machines. Puis, il capte la récolte, par exemple de coton, et se
charge de la transformation et de la vente. Les agriculteurs peuvent cultiver
pour eux-mêmes des fruits et légumes et en vendre au marché.
La population du pays n'a pas été recensée depuis 1989,
donc avant l'indépendance. Elle est estimée à 24 millions
d'habitants. Mais il y a eu des migrations depuis, notamment, beaucoup de Russes
ont quitté le pays à l'indépendance (1991).
Après 1998, il y a eu des difficultés économiques et des
gens se sont exilés vers la Russie, l'Amérique du Nord et la Corée
du Sud.
Les salaires sont de : 150 USD/mois pour un professeur, mais il donne des cours
privés en dehors de l'école, à 3-5 USD/h. Dans le privé,
les salaires sont de l'ordre de 200 à 300 USD et 500 USD dans la banque.
Le médecin a un salaire officiel et un complément quand il se
déplace chez les patients. En plus du salaire officiel, les gens se débrouillent
pour avoir des revenus complémentaires ; il y a une économie parallèle
non prise en compte dans les comptes de la nation. Ce salaire complémentaire
sort de l'imposition ! Pour se faire soigner à l'hôpital, il est
d'usage de remercier le médecin, le guide ne nous dit pas comment. Finalement,
il y a une certaine hypocrisie dans le fonctionnement de l'économie.
Quand aux fonctionnaires, on ne dit pas comment ils arrondissent leurs fins
de mois. La corruption est semble-t-il répandue.
Les dépenses publiques sont parfois abusives, comme des infrastructures
inutiles, des marchés tout neufs jamais utilisés.
Les salaires ont à rapprocher du coût de la vie : un repas coûte
environ 5.000 soums (4 USD). Le loyer est bas. Les transports également.
Il faut au moins 120 USD par personne pour vivre correctement.
En réponse à nos questions, nous apprenons que la langue officielle
est l'ouzbek et on apprend le russe à l'école ainsi que d'autres
langues, comme l'anglais ou le français. Nos guides parlent un excellent
français qu'ils ont appris à l'école puis à l'université.
L'écriture cyrillique a été imposée par les soviétiques,
mais progressivement, le gouvernement la remplace par l'écriture traditionnelle.
Les gens considèrent qu'ils profitaient mieux du système communiste
: il était facile de se déplacer au sein des 15 républiques
soviétiques, alors que maintenant il faut un visa pour la plupart et
les tarifs des compagnies aériennes se sont alignés sur les tarifs
internationaux. La monnaie était le rouble, un peu comme l'Euro en Europe
maintenant. L'indépendance est vécue par beaucoup comme une régression.
Le progrès et le développement de l'économie ont été
captés par le gouvernement et la famille du président. La fille
du président est actionnaire d'office dans toutes les sociétés
tournées vers l'étranger : pétrole, compagnie aérienne,
agences de voyage, hôtellerie. On dit qu'elle serait la femme la plus
riche d'Asie centrale.
Une blague pour conclure : le président ouzbek, Karimov, rencontre son
homologue du Kazakhstan : " chez nous, on a toujours deux voitures à
la maison. " " Chez nous, répond le Kazakh, on a deux ouzbeks
en train de travailler dans nos maisons. "
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