Arrivée en fin de journée à Samarcande, installation
à l'hôtel.
Samarcande ou Samarkand ou Samarqand (Самарқанд
en Ouzbek) est la seconde ville d'Ouzbékistan avec une population de 400 000 habitants. Son nom signifierait «
lieu de la rencontre » ou « lieu du conflit » (« samara » : rencontre,
conflit en sanskrit, « kand » ou « kent » : ville, en truc).
Nous arrivons en fin d'après-midi par une très belle
journée ensoleillée sans grande chaleur.
Il y fait moins chaud qu'à Boukhara, car la ville
est à 700 mètres d'altitude.
Samarcande devint la capitale de l'empire fondé
par Tamerlan qui s'étendait jusqu'à la mer Noire et au Pendjab, en Inde. Elle
a conservé de cette glorieuse époque nombre de très grands édifices. Ebranlés
et fissurés par les tremblements de terre, saccagés par le khan de Boukhara,
laissés à l'abandon comme les ruines antiques, ils retrouvèrent une seconde
jeunesse quand les Soviétiques, fiers d'instruire le peuple, décidèrent de les
rénover au XXe siècle. C'est Lénine qui fit entreprendre les premières restaurations.
Les Soviétiques ont peut être trop dégagé leurs abords, aligné des avenues trop
larges, vidé la ville historique de ses habitants, détruit même les restes du
palais de Tamerlan pour construire l'hôtel Afrosyab, mais ils ont le mérite
d'avoir remis en état la plupart des somptueux édifices timourides. II ne reste
quasiment rien aujourd'hui des quartiers historiques de Samarcande. Au début
du XXe siècle, les maisons jouxtaient les vestiges du Gour Emir et du Registan,
dans des labyrinthes de rues typiques qui ont disparu au fur et à mesure de
l'avancée des travaux de rénovation.
Les principaux monuments incontournables sont :
la mosquée Bibi Khanum, la plus grande d'Asie centrale, les trois monumentales
madrasas du Registan, le mausolée du Gour Emir et la nécropole de Shah-i-Zinda.
En sortant de l'hôtel, on a devant soi, au levant,
le mausolée du Cheik Burhanaddin, dit Rukhobod, et un beau jardin qui remonte
le long d'une avenue jusqu'au rond-point de Tamerlan. Chaque ville possède sa
statue colossale du héros national, Tamerlan, qui a remplacé, après la chute
de l'URSS, les héros soviétiques. Sa statue orne les points névralgiques des
grandes villes, comme le square qui est en face de l'hôtel où nous étions descendus
à Tachkent. Celle-ci le montre assis comme un chef d'état. Elle a été érigée en 1986 pour
le 650ème anniversaire de sa naissance (1346). Les pays de la région
ont aussi adopté un héros national : Tadjikistan a choisi Ismaïl Samani,
le fondateur de la dynastie des Samanides. Le Kazakhstan a pris Gengis Khan.
Des bassins se déversent vers d'autres plus bas,
au gré de la déclinaison de l'avenue. Les urbanistes russes affectionnaient
les plans d'eau et jets d'eau qui procurent fraîcheur et sérénité. Des enfants
en font leur piscine, sans se soucier de la qualité des eaux, tandis que des
jeunes filles, sans doute étudiantes se servent des embruns comme d'un brumisateur.
Elles m'ont parlé en russe me prenant sans doute pour un touriste russe. Le
panache des gouttes d'eau diffracte un arc en ciel, face au soleil déclinant.
Le dôme bleu du Gour Emir n'est qu'à 200 m, au bout d'un espace vert. Deux enfants
accroupis taillent court l'herbe pour la récupérer dans des paniers d'osier.
Le Mausolée de Gour Emir (Enfants et petits enfants de Tamerlan) (1404)
J'arrive au mausolée qui me fascine. Le bulbe du
dôme à côtes, de 12,50 m de haut et 15 m de diamètre, culmine à 32 m. Il est
couvert de briques vernissées de couleur bleue turquoise et modelé par soixante-quatre
nervures parsemées de losanges jaunes et bleu nuit qui semblent l'étirer vers
le ciel. Une inscription en caractères coufiques haute de 3 m entoure sa base
: « il n'y a de dieu qu'Allah et Mahomet est son prophète ».
Le mausolée est construit en contrebas par rapport
à la place et on y accède par un large escalier de marbre. Les abords ont été
aménagés par les Soviétiques, à la fois pour faciliter l'accès des visiteurs,
touristes ou pèlerins, et pour recréer le plan originel et la « voie royale
» pavée de dalles blanches qui, au XIVe siècle, reliait le Gour Emir au mausolée
du Cheik Burhanaddin, dit Rukhobod.
Le Gour Emir est le mausolée de Tamerlan. À l'image
d'un autre grand conquérant, Gengis Khan, Tamerlan voulait être enterré sobrement
dans une crypte toute simple à Chakhrisabz, sa ville natale: « Juste une pierre
et mon nom dessus », avait-il dit. Ses successeurs en ont décidé autrement.
Avant le mausolée, il y eut un ensemble monumental
construit en 1401, par son petit-fils préféré et successeur désigné, Muhamad
Sultanfit. Le complexe comprenait alors une cour intérieure bordée de quatre
iwans, encadrée par quatre minarets, et sur laquelle donnaient une madrasa à
l'est et une khanaka à l'ouest. La madrasa était réservée aux fils de familles
nobles destinés à travailler dans l'administration. Dans la khanaka, résidence
des derviches, se trouvait aussi une mosquée à coupole. Aujourd'hui, ces constructions
ont disparu. Seuls subsistent le grand portail d'entrée sur lequel est inscrit
en persan : « Construit par le faible esclave Mohamed, fils de Mahmoud, d'Ispahan
». On peut lire aussi : « heureux celui qui refuse le monde avant
que le Monde le rejette ».
En 1403, Muhamad Sultan, encore jeune, périt en
combattant les Ottomans en Perse, et Tamerlan fit construire un mausolée. Lorsque
le premier dôme fut achevé, Tamerlan le jugea trop petit et ordonna qu'on en
construise un nouveau, plus grand, en deux semaines. Gare à l'architecte s'il
ne respectait pas la délai. Les ouvriers travaillèrent
jour et nuit, et Tamerlan, malade et en litière, venait en personne surveiller
les travaux.
En 1405, Tamerlan se met en route pour conquérir
la Chine, avec une armée forte de 200.000 hommes. Parvenu à 640 km de Samarcande,
il tombe malade et meurt. Il a 69 ans. Sa dépouille parfumée d'eau de rose,
de musc et de camphre, est transportée nuitamment, pour ne pas affoler ses troupes,
vers Samarcande. Il est secrètement enterré dans la khanaka à côté de son petit-fils.
Ce n'est que quatre années plus tard, quand les luttes de succession furent
réglées, que les dépouilles royales rejoignirent leur résidence actuelle dans
la crypte du mausolée. À cette occasion, on enterra aussi le maître spirituel
de Tamerlan, le cheik Mir-Said-Bereke. Par la suite, d'autres Timourides vinrent
le rejoindre, dont deux fils de Tamerlan. Shakhrukh et Miranshakh, ainsi que
son petit-fils Oulough Begh.
On visitera le mausolée demain soir avec notre guide,
mais j'en parle ici.
On pénètre dans une cour qui inspire le repos, à
l'ombre des mûriers. Un bassin reflète les mosaïques. À droite de l'entrée,
le Kok Tash est un bloc de marbre d'environ 3 m de long et de 1,50 m de large
sur lequel reposait le trône de Timour. La coutume voulait que ce soit sur cette
pierre, aux pouvoirs magiques, qu'étaient couronnés les khans de Boukhara.
La porte d'entrée au mausolée est discrète et donne
accès à un sombre couloir, construit à la demande d'Oulough Begh, sorte d'antichambre
de la chambre funéraire. L'intérieur du mausolée est somptueux : une douce lumière
dévoile les cénotaphes alignés derrière une clôture en marbre ajouré, également
construite sous Oulough Begh. Celui de Tamerlan est un bloc de jade vert sombre,
rapporté de Mongolie par Oulough Begh, qui se distingue des autres, de marbre
blanc, 1,8 m de long, 43 cm de large, 35 cm de hauteur : le plus gros bloc
de jade jamais sculpté. Les tombes sont dans une crypte en dessous. La dalle
funéraire de Tamerlan est couverte d'inscriptions énumérant les ancêtres de
l'Emir. Cette généalogie détaillée souligne sa parenté avec Gengis Khan et remonte
à un certain Bouzanjir, fils de la vertueuse Alavanka et d'un rayon de lumière.
La pierre tombale est fendue en son milieu car, dit-on, elle se brisa quand
le Shah d'Iran Nadir Shah voulut l'emporter en Perse au début du XVIIIe siècle.
Les autres dalles funéraires sont de marbre blanc, dont celle de Mir (le Sage)
Said-Bereke, le maître spirituel de Tamerlan, d'où le nom Gour-i-Mir parfois
donné au mausolée. On la reconnaît au mît de protection contre les esprits,
portant une queue de cheval à son sommet, réminiscence de pratiques chamaniques.
La salle ne paraît pas très grande, car elle est étroite par rapport à sa grande
hauteur. Les murs sont couverts à hauteur d'homme de plaques d'albître vert
(à moins que ce ne soit de l'onyx comme je l'ai lu), plus haut courent des inscriptions
coraniques bleu et or, enfin, en levant les yeux, on découvre la coupole d'or
sur fond bleu pareille au firmament étoilé. Le décor de la coupole a nécessité
plus de 3 kilos d'or. C'est un lieu de recueillement et personne n'ose parler
à voix haute.
Dans la crypte, la dalle funéraire de Tamerlan est
elle aussi brisée. On aurait pu la visiter si seulement on nous l'avait proposé
! Moyennant finance bien sûr. Un anthropologue soviétique, Guerassimov, demanda
l'autorisation d'exhumer le corps de l'empereur, à la grande frayeur des autorités
locales qui connaissaient l'inscription gravée sur le tombeau de l'empereur:
« Lorsque je reviendrai à la lumière du jour, le monde tremblera ». Guerassimov
ouvrit le tombeau de Tamerlan le 22 juin 1941. Quelques heures plus tard, les
Allemands déclenchaient l'opération Barbarossa, l'invasion de la Russie à partir
de Kiev. À la fin de l'année suivante, le corps fut replacé dans son cercueil.
Quelques jours plus tard, les Allemands capitulaient à Stalingrad... Les recherches
entreprises par Guerassimov, qui ouvrit aussi les tombes d'Oulough Begh et des
autres Timourides, lui permirent de confirmer l'atrophie du bras et de la jambe
droite de celui qu'on appelle aussi Timour Leng - le Boiteux de fer -. Tamerlan
était boiteux et blessé à la main droite. On dit qu'il se faisait aider de 5
hommes pour monter à cheval. On a aussi pu vérifier la mort violente, par décapitation,
dont fut victime Oulough Begh.
À la sortie du mausolée, une dame fait payer ceux
qui ont fait des photos. Elle tient fièrement une liasse de billets, pour montrer
que personne n'échappe à sa vigilance.
Derrière le Gour Emir, se trouve le mausolée Ak
Sarai : il tombe en ruine et est encore encerclé de maisons. Malheureusement,
notre guide ne nous propose pas de le visiter et j'en apprends l'existence trop
tard.
On nous propose de rentrer à l'hôtel distant de
100 m en car. J'opte pour la marche, histoire de revoir de plus près le mausolée
du cheik Burhaniddin Sagarji, dit Rukhobod ou « résidence de l'esprit » : il
fut construit en 1380 par Tamerlan, pour accueillir la dépouille de son mentor
et de sa famille. Il s'agit de l'un des plus anciens monuments de la ville.
Son architecture est simple : une base cubique, surmontée d'un tambour octogonal
sur lequel repose un dôme conique. En raison de ses proportions bien équilibrées,
le mausolée cache sa grande hauteur de 22 m.
Les portes sont ouvertes et laissent rentrer la
lumière :
Plusieurs tombes sont alignées, celles du cheik,
de sa femme, Bibi Khalfa (on dit qu'à sa mort, en Chine, son corps a été momifié
et ramené à Samarcande à dos de chameau, lui aussi enterré dans le mausolée,
sous les pavés), et des enfants de cheik, huit garçons et deux filles. Les tombes
de ces deux dernières se reconnaissent à leur forme plus effilée et sont ornées
de sourates du Coran. On dit qu'une mèche des cheveux du Prophète aurait été
enterrée avec la dépouille du saint.
Ce soir, il est agréable de prendre un verre au
café du dernier étage de l'hôtel. Le soleil décline sur des montagnes éloignées.
Bien au-delà des dômes et des minarets du Registan. La ville est dans l'ensemble
moderne et seuls subsistent ici et là de très grands monuments persans, aux
toitures vernissées. De l'autre côté de l'hôtel, on a une vue imprenable sur
le Gour Emir majestueux et mis en valeur sur le terre-plein.
Nous dînons sur place, dans une immense salle triste à mourir. L'architecture
grandiose à la soviétique distille un parfum d'ennui. Les serveurs, jamais souriants
et blasés par leur métier, se fondent dans le décor. La nourriture est tout
aussi banale. Un petit incident passe inaperçu à la plupart d'entre-nous :
notre guide nous fait remarquer que certaines personnes se sont étonnées du
tarif élevé de la bière. J'ai eu la même impression en prenant une bière le
soir au bar de la terrasse et pour cette raison, je n'en ai pas prise une au
restaurant. Les serveurs ont un peu profité de notre naïveté en majorant le
tarif. Suite à la plainte du guide, le directeur de l'hôtel a décidé de nous
offrir une boisson le lendemain.
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