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Les abbayes
Le monachisme : Cluny et Cîteaux
Cluny
L'Ordre cistercien
Paris
L'abbaye Saint-Jean des Vignes, de Soissons
L'abbaye de Maillezais (Charente)
L'abbaye de Flaran (Gers)
Index
Le monachisme
: Cluny et Cîteaux
Le monachisme chrétien est un phénomène ancien.
Il prend ses racines même avant l'ère chrétienne,
chez les Juifs. L'évêque de Tours, saint Martin (mort en
397), fonde le premier monastère de Gaule, à Ligugé,
près de Poitiers. Le plan est inspiré de celui de Saint-Gaal
en Suisse. Le cloître est le coeur du monastère autour duquel
se greffent toutes les salles communes à la vie religieuse : spiritus,
la zone spirituelle (l'église), corpus, la zone de vie,
en général à l'Ouest (la cuisine qui emploie des
laïcs, dotée de grandes cheminées, le chauffoir accolé,
le cellier enterré et au-dessus le réfectoire), anima,
la zone de la pensée (la sacristie, l'armarium ou bibliothèque,
la salle capitulaire où se réunit le chapitre, le parloir),
en général à l'Est (vers le soleil levant de manière
à profiter des premières lueurs de la matinée pour
les premières lectures), et, au-dessus, le dortoir directement
relié au transept de l'église pour que les moines puissent
s'y rendre aux premières prières. Innovation cistercienne
ignorée par Cluny : le dernier côté est réservé
aux frères convers. Ils disposent de leurs apparentements et réfectoires
indépendants. Ils sont également proches de l'extérieur
et de l'hostellerie qui peut accueillir les vagabonds, les mendiants,
les pèlerins ou les hôtes de marque venus se recueillir.
Parfois un hospice est créé pour soigner les malades et
les vieillards sans ressource.
La règle de Saint Benoît est très stricte : humilité,
obéissance et silence sont les vertus du moine ; on communique
que par nécessité et par gestes. La parole est réservée
aux lectures des textes sacrés, aux cantiques entonnés en
groupe et aux audiences de la salle capitulaire, et sur des sujets religieux.
La journée est cadencée entre prière, travail, repas
et repos.
La journée débute très tôt dès 3 h du
matin, avec la première prière de la journée, les
vigiles. À peine réveillés, les moines se rendent
directement du dortoir à l'église. Ils empruntent un escalier
car en général, le dortoir est à l'étage.
Ils ne reviennent pas par le même chemin de manière à
éviter tout croisement. Il y a un circuit pour circuler dans l'abbaye,
dans le sens des aiguilles d'une montre et tout déplacement se
fait dans le silence et le recueillement. À l'aube, les moines
se retrouvent pour la seconde prière : les laudes. Puis, le soleil
se lève et annonce un cycle de prière à la première
heure du jour (prime), la troisième (tierce), la sixième
(sixte) et la neuvième (none), qui correspond environ à
14h (suivant les saisons). Juste avant on a déjeuné :
On pénètre dans le réfectoire en silence et en procession,
après s'être lavé les mains au "lavabo".
Les tables sont disposées le long des murs et l'on dîne sans
vis à vis. Les plats sont servis parle cellérier aidé
des cuisiniers. À table, on entend que le bruit des couverts, et
la divine parole lue par le semainier. Celui-ci est élu pour une
semaine, comme l'indique son nom. Il officie dans une chaire construite
à l'ouest, souvent dans l'épaisseur du mur.
Ensuite, les moines se reposent jusqu'à la prochaine prière.
La journée se poursuit en alternant travail manuel et prière.
Les vêpres sont chantées à 18 h et les complies vers
20 h. Les frères convers récitent également des prières
mais sur leur lieu de travail.
Les moines sont coupés du monde, sauf ceux qui on en charge l'intendance.
L'hiver est rigoureux et seul le "chauffoir" est chauffé.
On vient se réchauffer au chauffoir. Le scriptorium est
à coté du chauffoir, pour que les copistes et les enlumineurs,
immobiles sur les écritoires des heures durant, ne se gèlent
pas trop. L'accès du scriptorium est réservé aux
copistes afin d'éviter tout dérangement. Leur métier
disparaîtra avec l'introduction de l'imprimerie.
Au Moyen-Âge, le monachisme répond à un double besoin
de la noblesse. D'une part, les nobles s'appuient sur les moines pour
se faire absoudre de leurs turpitudes. Ils achètent des prières
pour le repos de leur âme en faisant des donations "à cause
de mort". L'abbé de Cluny, Odilon (994-1049) institue vers l'an
1030 le jour des morts, le 2 novembre (la fête de tous les saints
naît en Angleterre au 8è siècle. Au siècle
suivant, la fête des morts est associée à celle des
saints à une date proche, mais différente, dans plusieurs
abbayes de Germanie), jour où les moines prient pour tous les généreux
donateurs. D'autre part, les ordres sont un débouché pour
les cadets, qui les intègrent dès leur enfance pour recevoir
l'éducation conforme à la religion (en l'absence de toute
autre structure d'éducation). Mais les nobles ont la fâcheuse
tendance de s'approprier les monastères qu'ils gratifient de leurs
dons ou de leur progéniture, y tiennent leur bruyantes réunions,
contraires à la sérénité nécessaire
au recueillement, ou bien, ils associent les abbés à leurs
querelles politiques, détournant ceux-ci de leurs voeux de détachement.
L'abbé (abbé vient de abba, mot araméen qui
signifie "père") devient un seigneur féodal, ayant pouvoir
sur ses propres vassaux, qui assurent sa défense, face aux envahisseurs
normands, par exemple, en Aquitaine. Comme tout seigneur, il possède
des serfs qui exploitent les domaines agricoles, car les moines, voués
à la prière, n'ont pas le temps de s'y consacrer. Sous Charlemagne,
la vie monastique se dissout. Les monastères se vident et sont
confiés, à titre de récompense, à des serviteurs
de l'État, au même titre que des simples domaines. Plus tard
(au XVIIe siècle), le principe de la commende n'obligera pas l'abbé
à résider en son abbaye ; il pourra déléguer
ses missions à un prieur, et vivre comme un vulgaire rentier des
rentes de l'abbaye. Ce sont les Normands, en chassant les moines de l'Aquitaine,
qui, indirectement, relancent le monachisme. La terre d'élection
est la Bourgogne : ainsi, les reliques de Saint Philibert (aristocrate
aquitain qui a fondé l'abbaye de Jumièges en 654, et celle
de Noirmoutier en 677, où il fut enterré) sont emportées
à l'abri, jusqu'à Tournus, où une abbatiale est édifiée
en 1008-19 (avec déambulatoire au-dessus de la crypte). .
En 909,Guillaume, duc d'Aquitaine et
comte d'Auvergne, fonde le monastère Saint-Pierre-et-Saint-Paul
de Cluny Cette abbaye modeste de douze moines dépend directement
du Saint-Siège, échappant ainsi aux contraintes locales.
Elle devient rapidement la première abbaye de la chrétienté
par le nombre de ses moines (jusqu'à 350 moines), l'étendue
de son domaine (800 dépendances en l'an 1100) et la rigueur de
sa conduite (inspirée de la règle de Saint Benoît).
Son architecture (anéantie à la Révolution) marque
l'apogée du roman. L'église de Cluny est la plus grande
du monde, à son époque. Le pouvoir des moines est craint
: comme un seigneur féodal, l'abbé s'est approprié,
vers l'an 1000, le pouvoir judiciaire, normalement dévolu au comte,
représentant du roi. Sa richesse attire des convoitises dont il
faut se protéger. Aussi, l'abbé sen remet d'abord à
des seigneurs alliés, puis il constitue une milice des bourgeois
de la ville qui s'est créée à proximité de
l'abbaye. Une telle déviation par rapport à l'esprit originel
de pauvreté est-elle admissible ? Des tensions ne tardent pas à
séparer les moines épris de solitude et ceux qui sont ouverts
sur le monde et avides de pouvoir. Les premiers décident de faire
sécession, et de fonder, derrière Robert de Molesme, un
nouveau monastère, à Cîteaux, toujours en Bourgogne.
L' ordre cistercien n'est
point une refonte des idées de Cluny mais leur rigoriste application.
En 1113, un gentilhomme de Châtillon-sur-Seine (d'où était
originaire également le pape Urbain II qui prêcha la première
croisade en 1095), Bernard de Fontaines, élevé par les chanoines
de Châtillon, entre, avec une trentaine de nobles dont plusieurs
parents, au monastère de Cîteaux. Il est âgé
de 22 ans. En 1115, il est autorisé à quitter Cîteaux
pour créer un nouveau monastère d'obédience cistercienne
à Clairvaux (de claravallis, "clair val"). La réforme de
Cîteaux consiste à accroître l'isolement au profit
de la prière et du recueillement. Le site est choisi à l'écart
des villes et des voies de communication, en un lieu inhabité,
lande ou forêt, qu'il convient de déboiser ou d'assainir.
La forêt fournit le bois nécessaire aux premières
constructions, en attendant l'approvisionnement en pierre. Le bois sera
aussi utilisé en métallurgie. Les moines s'équipent
pour vivre en autarcie : ils domestiquent les cours d'eau (eau sanitaire
et énergie), défrichent ou assainissent les marécages,
exploitent des mines de fer, apprennent le travail des métaux et
du bois, découvrent la taille de la vigne. Comme il faut bien de
se nourrir, l'exploitation agricole est confiée à des moines
convers, qui dorment parfois dans des granges, à une journée
maximum de marche de l'abbaye. Clairvaux aura jusqu'à 25.000 ha
de terres et une quinzaine de granges. La Règle recommande une
nourriture minimale, simple et frugale. La viande et le gibier sont exclus,
sauf pour les moines malades. Un jardin est dès le début
de l'installation dessiné et entretenu, avec verger et plantes
aromatiques et médicinales (les "simples").
Même leur bure confine à l'austérité : leur
habit blanc leur vaudra le surnom de moines blancs par opposition aux
moines noirs de Cluny.
Les biens produits sont échangés, mais le succès
de la production conduit les moines au commerce, bien malgré eux.
Enfin, les règles d'architecture et d'art sont édictées
par Bernard de Clairvaux, dans un esprit de pureté et de dépouillement.
Bernard, connu alors comme Bernard de Clairvaux, grand lettré théoricien
de la spiritualité, devient l'âme du peuple monastique qui
s'étend au delà des frontières : 151 monastères
en 1165 (en 50 ans) relèvent d'une organisation centralisée
et diffusent une architecture standardisée. Chaque année,
les abbés doivent se rendre à Cîteaux, pour la réunion
du chapitre général (institué par Étienne
Harding). Le premier chapitre se tient en 1119, mais il sera remplacé
par un comité en 1197, lorsque l'expansion de l'Ordre rend incompatible
la réunion de tous les abbés (trop éloigné
pour certains, trop nombreux aussi pour tenir dans la salle capitulaire
de Cîteaux). Les décisions sont prises par le chapitre général
et s'imposent à l'ensemble des maisons. Au total, ce sont 339 abbayes
"filles" qui ont surgi dans toute l'Europe.
Les relations avec la papauté sont étroites, les cisterciens
fournissant un cardinal, un pape (Eugène III, en 1145), des légats
pontificaux, et leur appui à la lutte contre les hérésies,
comme l'hérésie cathare. En contre partie, le pape leur
accorde d'échapper au pouvoir des évêques locaux.
L'église est édifiée sur le point le plus haut du
terrain, mais sans clocher, car il n'y a pas d'habitant alentour à
appeler à la messe. Le plan de l'église est en croix latine,
fondé sur des modules carrés ou rectangulaires. Elle comporte
une nef, flanquée de collatéraux simples, couverte d'une
voûte en berceau brisé à puissants doubleaux interrompus
à quelques mètres du sol. Ces derniers reposent sur des
colonnes géminées engagées dans les piliers rectangulaires
et des culots sculptés en pyramides renversées moulurés.
Le chevet circulaire à chapelles rayonnantes est abandonné
au profit d'un plan simple à chapelles alignées à
mur droit. La façade cistercienne n'a pas besoin d'une entrée
majestueuse, car il n'y a pas de fidèle à impressionner,
ni à accueillir. Les moines entrent par l'intérieur de l'abbaye
et les convers par deux petites portes latérales.
La décoration est éliminée, sans peintures murales,
ni vitraux colorés, ni chapiteaux sculptés qu'appréciait
l'art roman. Les carreaux de pavement abandonnent les scènes d'animaux
ou de saints qu'il seraient désobligeant de fouler, au profit de
motifs géométriques, non figuratifs. L'absence de décoration
et de motif figuratif évite la dispersion de l'esprit. Les intérieurs
sont souvent enduits de plâtre (sur lequel on peint de faux joints
rouges) ou en pierre nue, qui amplifient les cantiques de leur écho.
Le jeu de l'ombre et de la lumière traduit la présence voilée
de Dieu, venu partager la pauvreté de l'homme. En 1130, Bernard
est élu évêque de Châlons, mais il refuse cet
honneur, préférant se consacrer à ses frères.
Mais cet isolement contient les germes de la décadence : le souci
d'autarcie et d'exploitation des ressources qui en découle dépasse
les besoins vitaux et pousse les monastères dans les circuits économiques.
Il faut ouvrir des points de vente et donc entrer en contact permanent
avec le monde. Il faut gérer le domaine, de plus en plus vaste,
et le personnel, de plus en plus nombreux. Ce sont encore des soucis matériels
qui éloignent les frères de leurs principes fondamentaux.
Devant l'évolution des villes, les ordres anciens, repliés
sur eux-mêmes, coupés du monde, ne sont plus adaptés.
Ainsi naissent, propices à l'action urbaine, les ordres mendiants
(franciscains, dominicains et carmes) dont les religieux ne sont plus
attachés à une abbaye mais à un couvent, qu'ils quittent
dans la journée pour prêcher et pour étudier ou enseigner
dans les universités. Le couvent reçoit des religieux ou
des religieuses qui font voeu de pauvreté et d'assistance de leur
prochain, tandis que le monastère ou l'abbaye se referme sur des
moines et des moniales isolés comme dans un désert, le plus
souvent loin des centres urbains. Là encore, les cisterciens sont
déphasés. À force de relire les même écritures
et de se couper du monde, ils ignorent l'évolution de la scolastique.
Leur recrutement est concurrencé par les ordres nouveaux, plus
ouverts sur le monde et sur les jeunes. Paris n'échappe pas au mouvement
monastique et se couvre d'abbayes aux XIe et XIIe siècles : Saint-Martin-des-Champs
(aujourd'hui, Conservatoire des Métiers) est fondée en 1060.
Le chœur, élevé en 1130, est le premier voûté
d'ogives, à Paris. Il porte les premiers embryons d'arcs-boutants
de France. En 1133, la femme du roi Louis VI, Adélaïde de
Savoie, fonde une abbaye bénédictine à Montmartre
(où saint Denis a été décapité). Il
ne subsiste que la chapelle, dédiée à saint Pierre,
par le pape Eugène III, en 1147. Comme dans beaucoup d'églises
romanes, les murs se sont écartés sous la poussée
de la voûte. L'abbaye de Saint-Victor (emplacement de l'université
de Jussieu) est fondée par Louis VI en 1133 (et détruite
en 1811). l'abbaye cistercienne de femmes, Saint-Antoine-des-Champs, est
fondée en 1198 par le père Foulques, prédicateur
de la 4ème croisade. Cette abbaye a survécu grâce
à sa vocation hospitalière (comme le Val-de-Grâce,
transformé en hôpital militaire, ou le couvent des Cordeliers,
transformé en école de médecine). Le monachisme décline
au XIVe siècle, pour diverses raisons, l'une d'elles étant
la crise économique qui sévit en Europe. Les abbayes contrôlent
30 à 40% des terres cultivées d'Europe et leurs revenus
périclitent. La crise démographique frappe la jeunesse.
Les croisades détournent des abbayes les éventuelles vocations,
quand ce n'est pas la guerre qui va durer Cent Ans. Beaucoup d'abbayes
ont été ruinées. Les causes principales sont la guerre
de Cent An (XIVe siècle) , les guerres de religion (XVIe siècle),
la Révolution, et, les guerres du XXe siècle (1914-18 :
en Champagne et Picardie ; 1940-44, en Normandie, et dans l'Est principalement).
mais il existe d'autres causes, comme à l'abbaye Saint-Jean des
Vignes, de Soissons (visite de l'abbaye le 1er août 1999). L'abbaye Saint-Jean des
Vignes, de Soissons
L'abbaye a été fondée en 1076, par des Augustiniens.
Leur rôle est de soigner les malades. Ils sont ouverts sur le monde,
et de ce fait implantés en ville, contrairement aux ordres refermés
sur eux-mêmes des Bénédictins et des Cisterciens,
qui s'isolent à la campagne. Il y a jusqu'à 90 moines, et
72 en 1790. Le XIVe siècle est troublé par la guerre de
Cent-Ans (1338-1453). Des travaux sont alors entrepris pour se défendre.
Pendant la grande peste de 1348, l'activité est ralentie. L'abbaye
possède des terres céréalières, des granges,
des carrières de pierre calcaire (petits coquillages piégés)
et des vignobles. À cette époque, la région produit
un vin blanc de qualité moyenne (même exécrable, paraît-il).
on sert du vin aux malades, comme un remède. Au XIXe siècle,
le phylloxéra en aura raison. Heureusement, des plans ont été
exportés vers la Californie, d'autres vers l'Afrique du Sud. Ces
pieds de vigne ont été emportés par des protestants
chassés du Soissonnais et qui avaient trouvé refuge en Hollande,
avant d'émigrer à nouveau en Afrique du Sud. La France fait
appel à ces vignobles sains pour replanter. Le Soissonnais abandonne
la vigne. La Champagne a mis au point un vin fameux, grâce à
une invention d'un moine d'Orwiller. Il rajoute du sucre qui fermente.
Les premières bouteilles explosent à cause de la pression.
On fait venir d'Angleterre des bouteilles plus solides. Les moines ont
beaucoup fait pour la gastronomie : des bières (Chimay, par exemple),
des fromages (Maroilles), des alcools (Bénédictine). La
richesse des abbayes attire les convoitises. En 1566, le concordat de
Bologne instaure la commandite : l'abbé n'est plus élu parmi
les moines, mais désigné par le roi, en accord avec le clergé.
Le titre d'abbé est honorifique, ce qui ne garantit pas la meilleure
gestion. Les guerres de religion entre protestants et catholiques prennent
pour cible les abbayes et les églises. Saint-Jean des Vignes est
attaquée. Les moines s'enfuient par les canaux d'évacuation
des eaux des caves, en emportant les ouvrages les plus précieux.
La Révolution sen prend également au pouvoir et à
la richesse des églises et des abbayes. Saint-Jean est épargnée
et remise à l'Armée. Mais c'est à l'évêque
que l'abbaye doit sa destruction. L'évêque demande des subsides
à Napoléon pour l'entretien de la cathédrale. Napoléon
lui cède l'abbaye et ces revenus. L'évêque ne trouve
rien de mieux que de vendre les murs à un carrier qui met en pièce
l'abbaye. En 1870, les Prussiens occupent Soissons et bombardent ce qu'il
reste de l'abbaye : la rosace vole en éclats. Aujourd'hui, des
Américains fouillent les fondations du cloître et d'autres
étudient les ouvrages littéraires de l'abbaye dans le cadre
d'un programme archéologique.
L'abbaye de Maillezais (Charente)
Elle a été fondée en 1080. L'abbaye est édifiée
sur le seul point haut de la région. C'était pratiquement
une île au milieu des marais. Elle hébergea jusqu'à
100 moines, et 100 convers, aux quels se joignaient jusqu'à 100
pèlerins. Ceux-ci séjournent plus ou moins longtemps, et
fournissent la main d'oeuvre pour assécher les marais en échange
du manger et du dortoir. L'abbaye était riche, et fournit des témoignages
de cette aisance : il y avait par exemple une glacière pour conserver
les aliments, creusée dans la roche. La cave également creusée
dans la roche (et renforcée par des arches, car le calcaire est
très friable) était reliée directement au port. On
mangeait de la viande rouge, en contradiction avec la règle. La
tradition recommandait de priver de repas les retardataires, qui arriveraient
après les 100 coups de cloches (d'où l'expression être
aux 100 coups, pour signifier qu'on est pressé). La cloche retentissait
dans toute la campagne pour signaler les repas. Mais, à Maillezais,
on laissait une marge au retardataire : la moitié du repas, mesurée
par la moitié de la lecture. Le repas est pris dans le silence. Abbaye de Flaran, commune de Valence-sur-Baïse
(Gers)
L'abbaye a été fondée en 1151 par les moines de l'Escaladieu
dans le cadre de l'expansion de l'ordre cistercien en Gascogne. Escaladieu
est situé plus au Sud, non loin de la source de la Baïse,
de telle sorte que les moines n'ont eu qu'à descendre ce cours
d'eau. Les abbayes sont en général implantées dans
une zone vierge, non loin d'un cours d'eau qui fournira l'eau, l'égout
et la force motrice d'un moulin ou d'une forge. Grâce aux libéralités
des seigneurs de la région, l'abbaye connaît rapidement la
prospérité puis passe tour à tour sous la domination
anglaise et française. Les conflits incessants en Gascogne nécessite
un mur d'enceinte dont subsiste la porte fortifiée au midi. En
1569, les troupes protestantes de Mongoméry s'emparent de l'abbaye
et endommagent 3 galeries du cloître et la partie haute du chevet
de l'église. L'abbaye est vendue comme bien national à la
Révolution. Devenue domaine agricole, elle est la propriété
d'une même famille pendant près de 200 ans. En 1970, un incendie
provoqué par un membre de la famille ravage le quartier d'hôtes.
L'abbaye est rachetée par le département du Gers en 1972.
Depuis lors, les travaux de restauration, à la charge de l'État
et du Département, ont redonné au monument son aspect originel.
De la cour d'honneur, bordée à l'Ouest par l'écurie
et ses dépendances, on peut observer la façade de l'église
abbatiale percée dans sa partie supérieure par une rosé
cernée d'un cordon en damier. Au-dessous, le portail en plein cintre
est curieusement dépourvu de tympan.
Le Quartier d'hôtes a été élevé au XVIIIè
s. à l'usage du prieur et de ses hôtes. Il flanque les constructions
qui ont remplacé dès le début du XIVè s. l'aile
des convers donnant sur la galerie occidentale du cloître.
Cloître :
Des quatre galeries d'origine ne subsiste plus que celle située
à l'Ouest (début du XIVè s.), couverte d'une charpente
comme c'était l'usage dans les cloîtres toulousains : les
arcades brisées reposent sur des colonne jumelées à
chapiteaux ornés de feuillages, de masques humains ou d'animaux.
On accède à l'église par une porte surmontée
d'un beau chrisme, motif populaire dans l'art roman de Gascogne.
Église :
Construite entre 1180 et 1210, l'église de style très pur
est en bel appareil calcaire. Elle comporte une nef, flanquée de
collatéraux simples, couverte d'une voûte en berceau brisé
à puissants doubleaux. Ces derniers reposent sur des colonnes géminées
engagées dans les piliers rectangulaires et des culots sculptés
en pyramides renversées moulurés ; quelques chapiteaux doubles
présentent une ornementation simple, conforme à la tradition
cistercienne : feuilles lisses ou entrelacs et volutes très stylisés.
Sur le transept plus long que la nef s'ouvrent à l'Est le choeur
surélevé de trois marches, qui se termine en cul-de-four
et quatre absidioles. Le chevet est éclairée par des baies
à deux lancettes, tandis que la nef est peu éclairée.
Signes des approches de l'art gothique, des voûtes d'ogives couvrent
la croisée du transept et le collatéral Nord. À gauche,
dans le croisillon Nord, s'ouvre la sacristie, pièce carrée
d'une très grande luminosité, qui se distingue par ses voûtes
ogivales reposant sur une colonne centrale. Un escalier en pierre mène
au dortoir des moines.
Bâtiments conventuels :
Ils prolongent le croisillon Nord du transept. D'abord se trouve l'armarium
ou bibliothèque, ensuite la salle capitulaire, donnant sur le cloître
par trois baies à voussures s'appuyant sur des colonnettes : à
l'intérieur, les voûtes sur croisées d'ogives reposent
sur de belles colonnes de couleurs différentes en marbre des Pyrénées.
Au-delà du couloir d'accès au jardin, l'ancienne salle des
moines et le cellier abritent une exposition sur le chemin de St-Jacques-de-Compostelle
en Gascogne : cartes, sculptures, croix tombales de pèlerins ornées
de la coquille, etc. À l'étage, le dortoir des moines, auquel
on accède depuis le croisillon Nord, a été transformé
en chambres au XVIIè s. À cette époque, le confort compensait
le manque de motivation : on a poussé le luxe jusqu'à décorer
les chambres de stuc de style baroque, bien éloigné des
préceptes cisterciens. L'appartement du prieur se trouve à
l'angle Nord-Ouest de la galerie supérieure du cloître, qui
offre une belle vue d'ensemble sur l'abbaye. Au Nord, le réfectoire
flanqué de la cuisine et du chauffoir a été remanié
au XVIIIè s. Il présente un élégant décor
de stuc, notamment au-dessus de la cheminée avec le motif du phénix
renaissant de ses cendres.
Jardin : il comprend deux parties, le jardin à la française
et, vers l'ancien moulin, le jardin des plantes aromatiques et médicinales.
La vue est intéressante sur l'aile orientale du bâtiment
des moines et le chevet de l'église ; le feston d'arcatures cernant
les absidioles est caractéristiques de la première période
de l'art roman méridional.
Index :
Chanoines : clercs attachés à
évêché. Leur mission est de dire la prière
pour les fidèles, comme les prêtres. Ils vivent suivant une
règle comme les moines, parfois en communauté, mais ils
n'ont pas fait les vœux des moines.
Chapitre : on lisait des "chapitres" de la
règle canonique devant les chanoines et les moines. On appelait
chapitre la réunion et le lieu de cette réunion, avant de
l'étendre à l'ensemble des auditeurs, donc des chanoines.
Les moines convers qui n'ont pas prononcé de vœu "n'ont pas voie
au chapitre".
Curé : il prend soin (cura) des âmes
des paroissiens. Il exerce son ministère (ministerium) sans trop
de connaissances religieuses. Il vit grâce à la dîme,
ou dixième partie de la production. Tout se passe comme si les
terrains appartenaient à l'église qui les louerait aux paysans.
Clerc : celui qui a "choisi" de servir Dieu.
Il bénéficie d'un statut juridique particulier (ou for,
du latin foris, "en dehors"), qui le met à l'abri de la
justice civile.
Ermite : du grec erêmos, "désert", religieux
vivant dans le désert, c'est à dire à l'écart
du monde, en un lieu inhabité.
Évêché : correspond au découpage administratif
romain.
Frères convers (de l'espagnol conversos,
"convertis", car les premiers sont des musulmans convertis) : frères
laïques recrutés par les moines pour les travaux agricoles
ou industriels. Ils proviennent en général de la paysannerie,
tandis que les moines sont souvent d'ascendance noble, reproduisant au
sein des monastères les mêmes clivages que dans la société
féodale.
Moines : du grec monos, "seul", religieux
solitaire. Aux premiers siècles de ère chrétienne,
on distingue les anachorètes (du grec anakhôrein,
"s'en aller"), religieux contemplatifs retirés, et les
cénobites (du grec koinobion, "vie en communauté"),
vivant en marge de la société mais en communauté
religieuse.
Paroisse : s'adapte aux villages et aux nouveaux
quartiers.
Réguliers : moines qui ont prononcé
des voeux (chasteté, pauvreté, prière). Ils vivent
en communauté selon une règle, en général,
la règle de Saint-Benoît de Nursie. La Règle de Saint-Benoît
de Nursie -480-550- a été élaborée par l'abbé
de Saint-Cassin, en Italie, en 529, et imposée aux moines par Louis
le Pieux, en 817, au concile d'Aix-la-Chapelle. Cette règle accordait
une place prépondérante à la prière et prônait
également la pratique du travail manuel. On voit parfois représentée,
comme à l'entrée de l'abbaye ruinée de Maillezais,
les symboles de sa légende : un moine, dénommé Florentin,
jaloux, empoisonna du pain destiné à saint Benoît.
Un corbeau s'en empara, sauvant le saint homme. Cette histoire symbolise
le rôle des moines, qui consiste à extirper le mal. Ce même
corbeau enleva pour se nourrir un lièvre, symbole de plaisir charnel
et de Vénus. Il nourrit ses petits, comme un prêtre qui apporte
la bonne parole.
Religieux : du latin religare, "lier".
Séculiers : clercs et prêtres
au service des fidèles. Ils ne vivent pas en communauté,
mais "dans le siècle". Toutefois, leur conduite doit respecter
des règles de dévouement de soi et de privations proches
de celles des moines.
Bibliographie :
Dossiers d'archéologie, Cîteaux, 1098-1998, déc. 1997
Revue L'Histoire, n° de janvier 1998
La France médiévale, guide Gallimard, févr. 1998
L'ABCdaire des Cisterciens, Flammarion, 1998
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